Constituante, partie 7. fin mai - juillet 1791.
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26mai T26 p494 incident à propos du projet d'adresse aux colonies.
PRÉSIDENCE DE M. MERLIN, EX-PRÉSIDENT.
Séance du dimanche 29 mai 1791.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f576
La séance est ouverte à onze heures du matin.
(...) T26 fin p603
M. Dupont (de Nemours).
Voici, Messieurs, l'instruction pour les colonies, telle que les.commissaires que vous avez désignés croient devoir vous la présenter après un mûr examen :
[page 604]
« Extrait des procès-verbaux de l'Assemblée nationale relativement à l'état des personnes dans les colonies.
Décret du 13 mai 1791.
« L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes non libres ne pourra être faite par le Corps législatif pour les colonies, que sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales. »
Décret du 15 mai 1791.
« L'Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et de mère libres sans le vœu préalable, libre et spontané dés colonies ; que les assemblées coloniales, actuellement existantes, subsisteront ; mais que les gens de couleur, nés de père et de mère libres, seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s'ils ont d'ailleurs les qualités requises.»
Extrait du procès-verbal du 17 mai 1791.
« Sur ce qui a été observé qu'il serait extrêmement utile de faire accompagner d'une instruction pour les colonies les décrets des 13 et 15 mai, l'Assemblée nationale a chargé ses comités réunis de préparer et de rédiger cette instruction.»
Extrait du procès-verbal du 21 mai 1791.
« Un membre dès comités chargés de rédiger Une instruction aux colonies en a présenté une qu'il a déclaré être son ouvrage individuel. L'Assemblée en a ordonné l'impression et a ajourné la délibération y relative à demain. L'Assemblée a, de plus, chargé son Président de se retirer par devers le roi, à l'effet de le prier de donner les ordres nécessaires pour l'expédition la plus prompte d'un aviso, qui porterait aux colonies les derniers décrets rendus sur l'état des personnes et l'instruction qui y sera annexée. »
Extrait du procès-verbal du 21 mai 1791.
« Après avoir observé combien le retard de l'envoi de l'adresse que l'Assemblée a décrétée pour les colonies, à l'effet d'expliquer le sens véritable du décret, relatif aux droits de citoyen actif accordés aux gens de couleur libres, propriétaires et contribuables, nés de père et de mère libres, pourrait nuire à la tranquillité et à la sûreté des colonies, un membre a proposé d'adopter, sauf rédaction, celle qui avait été précédemment lue dans une des séances de l'Assemblée.
« La proposition de nommer 4 commissaires pour revoir et corriger l'adresse dont il s'agit, ayant été mise aux voix, elle a été décrétée par l'Assemblée ; et M. le Président a nommé MM. de La Rochefoucauld, Ëmmery, Prugnon et Goupil-Préfein, pour s'occuper de ce travail ; ils se sont sur-le-champ retirés avec l'auteur pour y procéder. »
Extrait du procès-verbal du 29 mai 1791.
« Un membre a donné lecture, ainsi qu'il suit, du projet d'instruction ordonné pour les colonies, par les décrets du 17, du 21 et du 27 mai :
« Exposé des motifs des décrets des 13 et 15 mai sur l'état des personnes dans les colonies.
« L'Assemblée nationale, occupée de tous les moyens d'assurer la prospérité des colonies, de faire participer les citoyens qui les habitent aux avantages de la Constitution, de consolider la fortune des planteurs, de leur donner les marques d'affection qui dépendent d'elle, d'unir d'intérêt avec eux tous les hommes dont les forces et l'attachement peuvent concourir au maintien de l'ordre, et continuant le travail qu'elle avait commencé sur des objets si dignes de sa sollicitude, a reconnu que les circonstances locales et l'espèce de culture qui fait prospérer les colonies obligent d'admettre dans fa constitution coloniale quelques exceptions aux principes généraux.
« Il lui a paru que le Corps législatif ne peut être mieux éclairé sur ces exceptions que par le vœu des colonies elles-mêmes. Elle a en conséquence jugé convenable d'opposer une entière loyauté aux inquiétudes qu'on cherche à répandre dans les colonies et d'expliquer nette^ ment ses intentions sur la faveur de l'initiative qu'elle a cru devoir accorder aux diverses assemblées coloniales par son décret du 28 mars, relativement aux lois à faire sur l'état des personnes.
« Le point fondamental et le seul véritablement important, celui sur lequel les gens malintentionnés voulaient alarmer les colonies, était la conservation des moyens que les propriétaires ont de les mettre en valeur. L'Assemblée nationale a déclaré que le Corps législatif ne délibérerait sur l'état des personnes non libres que d’après les propositions spontanées que pourraient lui faire les assemblées coloniales.
« L'Assemblée nationale a pu prendre cet engagement, parce qu'il ne s'agissait que d'individus d'une nation étrangère, qui, par leur profonde ignorance, les malheurs de leur expatriation, la considération de leur propre intérêt, l'impérieuse loi de la nécessité, ne peuvent espérer que du temps, du progrès de l'esprit public et des lumières, un changement de condition, qui, dans l'état actuel des choses, serait contraire au bien général, et pourrait leur devenir également funeste.
« La confirmation des lois relatives aux personnes non libres était ce qu'avaient souhaité les citoyens des colonies : c'est à cet égard seulement que l'initiative leur avait été donnée sur l'état des personnes, et qu'elle était intéressante pour eux ; car, où la propriété est assurée, où la culture et le commerce peuvent prospérer, là se trouvent toutes les sources de richesses et tous les moyens de bonheur. L'Assemblée nationale a cru devoir les garantir aux colonies par les expressions les plus claires, et sans aucune équivoque.
« Une autre question s'est élevée sur la manière dont l'initiative coloniale serait exercée, et sur les personnes qui auraient le droit d'y concourir par elles-mêmes ou par les représentants qu'elles envoient aux assemblées coloniales. La [page 605] raison, le bon sens, le texte positif des lois disaient que le3 colonies sont composées de tous les citoyens libres qui les habitent, et que tous ces citoyens devaient donc prendre part à l'élection des assemblées destinées à exercer pour eux leur droit d'initiative. Sous l'ancien régime même, et sous le plus despotique des régimes, l'édit de 1685 avait donné aux affranchis tous les droits dont jouissaient alors les autres citoyens. Il aurait fallu une loi nouvelle pour les exclure des nouveaux droits dans lesquels tous les citoyens sont rentrés par la Révolution. Et s'il y avait eu quelque incertitude, elle aurait été levée parle décret du 28 mars, qui, reçu dans les colonies avec reconnaissance, et y réglant les droits de citoyen actif, d'après les mêmes principes constitutionnels par lesquels ils le sont en France,dit formellement et sans exception (art. 4), que « toute personne libre, propriétaire, ou domiciliée depuis deux ans, et « contribuable, jouira du droit de suffrage qui « constitue la qualité de citoyen actif. »
« Il ne dépendait pas de l'Assemblée nationale de se refuser à rendre ce décret du 28 mars ; il ne dépendait pas d'elle d'en' restreindre le sens, en portant atteinte aux droits essentiels des citoyens ; elle ne pouvait accorder à une partie de l'Empire la faculté d'exclure des droits de citoyen actif des hommes à qui les lois constitutionnelles assurent ces droits dans l'Empire entier. Les droits des citoyens sont antérieurs à là société; ils lui servent de base: l'Assemblée nationale n'a pu que les reconnaître et les déclarer, elle est dans l’heureuse impuissance de les enfreindre. Elle n'a pu en .détourner les yeux lorsqu'elle a été obligée de prononcer sur les propositions que les députés des colonies ont faites à sa tribune.
« Ils y ont exposé que leurs commettants jugeaient utile et même nécessaire, qu'ils désiraient vivement que l'on conservât une classe intermédiaire entre les personnes non libres et les citoyens actifs; classe qui, jouissant des droits civils, ne vît encore les droits politiques que comme une expectative honorable et avantageuse assurée à ses descendants. Ils ont cru que l'initiative des colonies devait avoir lieu pour la détermination de cette classe intermédiaire : ils ont réclamé cette initiative comme une conséquence du décret du 28 mars, qui, au contraire, l'excluait sur ce point: ils ont proposé d'attendre que les colonies se fussent expliquées relativement à ce qu'elles croiraient convenable de faire pour leurs citoyens libres qui ne seraient pas entièrement de race européenne.
a Sans doute, et ils ne l'ont pas dissimulé, ils ne sollicitaient pour les colons blancs le privilège de l'initiative sur ce qui concerne les hommes libres d'une autre couleur, que pour ménager aux assemblées coloniales l'avantage de reconnaître et d'assurer elles-mêmes les droits de celte classe de citoyens : mais ce voeu, qu'il est toujours honorable d'avoir désiré d'émettre, l'Assemblée nationale n'a pas dû l'attendre lorsqu'il s’agissait d'un droit naturel, social et positif déjà déclaré par elle. Pour faciliter aux colons des moyens de s'honorer par des actes de bienfaisance, elle n'a pas dû cesser un instant d'être juste, conséquente à ses propres décrets, fidèle à ce respect pour les droits des citoyens, sur lequel elle a si solidement fondé la Constitution de l'Empire français.
« Ce qu'elle a pu, ce qu'elle a fait, est d'apporter dans sa résolution toute la condescendance pour les opinions reçues dans les colonies, qui ne lui était pas formellement interdite par les lois constitutionnelles. Elle pouvait repousser la proposition d'une classe intermédiaire. Elle pouvait se renfermer dans le sens littéral du décret déjà rendu sur les personnes libres. Elle a préféré de traiter les colons qui représentent les fondateurs des colonies, comme une mère tendre, qui non seulement veut le bien de ses enfants, mais se plaît à le faire de la manière qui se rapproche le plus des idées dont ils ont contracté l'habitude. Elle a consenti à former la classe intermédiaire que sollicitaient les colons blancs. Elle y a compris les affranchis, et même les personnes libres, nées d'un père ou d'une mère qui ne le serait pas. Elle a étendu sur eux l'initiative concédée par la métropole aux colonies; elle a ainsi augmenté dans les assemblées coloniales le droit éminent qu'elle leur avait déjà conféré relativement aux personnes non libres; ce droit précieux, d'être l'origine d'un plus grand bien, qui est un des plus beaux et des plus nobles attributs du corps constituant,
« Les colonies doivent savoir néanmoins que l'Assemblée nationale ne se serait pas permis cette condescendance pour des préjugés, si elle n'y avait pas envisagé un principe de justice; car ce n'est que par la justice que l'on peut influer sur ses résolutions. Mais les colons blancs sont tous nés de père et de mère libres : demander la même condition aux hommes d'une autre couleur pour jouir comme eux des droits de citoyen actif, ce n'est que maintenir une égalité constitutionnelle et légitime.
« Les citoyens de la classe intermédiaire ne sont donc point lésés ;"et quant aux colons, un moment de réflexion paisible suffira pour leur faire comprendre à quel point il était important que l'Assemblée nationale leur attachât, par un intérêt commun, tous les citoyens libres, nés de-père et de mère libres. En reconnaissant chez ceux-ci, comme elle l'avait déjà fait, les droits que leur donnent la nature et la société, elle a créé dans les colonies la puissance la plus propre à y résister, et aux troubles intérieurs, et aux attaques de.l'ennemi.
« L'Assemblée nationale a pris encore une autre précaution bien propre à prévenir toute agitation dans les colonies : c'est d'établir un délai entre la promulgation de la loi qu'elle devait à la patrie et à l'humanité, et la première occasion d'appliquer cette loi. Le Corps législatif a confirmé les assemblées coloniales actuellement existantes, et leur a continué l'exercice du droit d'initiative accordé aux colonies, quoique ces assemblées n'aient pas été élues par la totalité des citoyens libres, nés de père et mère libres ; de sorte qu'ils n'auront tous à concourir qu'aux assemblées primaires qui se tiendront pour les élections qui se feront à l'avenir, dont les règles locales, pour les colonies, ne sont pas encore décrétées, et auxquelles même s'étend leur droit d'initiative.
« Pendant cet intervalle, les préjugés auront le temps de s'affaiblir : les sentiments de justice et d'humanité, l'évidence de l'intérêt commun de tous les hommes libres dans un pays où la sûreté générale demande entre eux Ta plus grande union ; tous les motifs les plus puissants sur la raison, sur la sensibilité et sur le civisme produiront leur effet ; et où la patrie ne voit que des enfants chéris, ces enfants se plairont à contribuer à son bonheur, en se regardant comme frères.
« L'Assemblée nationale s'applaudissait d'un [page 606] ouvrage dans lequel la politique, la modération, la raison et l'équité lui paraissaient si heureusement conciliées, lorsqu'elle a vu avec douleur quelques députés des colonies regarder comme une diminution des concisions précédemment faites aux assemblées coloniales ce qui n'est en soi qu'une extension donnée à ces mêmes concessions.
« Ces députés ne peuvent manquer d'abjurer bientôt une erreur si contraire aux intentions et à la teneur des décrets du Corps législatif et constituant. Ils regretteront de l'avoir manifestée, en déclarant qu'ils s'abstiendraient des séances où leur devoir les appelle,
« L'Assemblée nationale les plaint d'une conduite qu'elle aurait pu frapper de son improbation ; et, dans l'affection véritablement maternelle dont elle est animée pour les colonies, elle se borne à empêcher par la présente instruction que l'erreur de leurs députés n'y devienne contagieuse.
« Quel plus beau témoignage d'estime et de confiance pouvait-elle donner aux assemblées coloniales, que dé leur accorder l'initiative sur leurs lois constitutionnelles et sur l'état des personnes non libres, ou qui ne sont pas nées de père et de mère libres? De quelle plus belle fonction, pouvait-elle les revêtir, que de celle de venir avec sagesse au secours de l'humanité souffrante, d'éclairer le Corps législatif sur tous les adoucissements qu'il sera possible de procurer un jour à cette classe infortunée, de proposer tous les changements qu'un meilleur ordre de choses exige, tous les tempéraments, toutes les modifications aux lois générales que les localités pourront rendre nécessaires, de préparer le bien que les*législatures auront à effectuer, et que Tes côlons auront toujours la gloire d'avoir provoqué?
« Peut-on imaginer un plus grand nombre de concessions, plus honorables et plus flatteuses? y a-t-il quelque exemple d'une métropole qui ait abandonné a ses colonies l'exercice d'un pareil droit sur les actes les plus importants de la législation?
« L'Assemblée nationale a tout accordé aux colonies; tout, excepté le! sacrifice des droits imprescriptibles d'Une classe de citoyens que la nature et les lois rendaient parties Intégrantes de la société politique; tout, excepté le renversement des principes créateurs de la Constitution française, qui ont obtenu, qui devaient obtenir l'assentiment unanime de tous les hommes qui veulent vivre et mourir libres.
« Si la réaction des préjugés, des passions et des intérêts particuliers est dans tous les lieux la même; si elle oppose partout quelque résistance au perfectionnement de l'esprit humain et au cours rapide de la régénération sociale et de la prospérité publique, la justice, la raison, ont aussi partout leur salutaire et très puissante influence. L'Assemblée nationale ne doutera donc jamais que les colons appelés, comme Français et par le vœu qu'ils ont clairement exprimé, au droit et à4'honneur de jouir des bienfaits de la Constitution, n'aient le noble amour-propre de s'élever à sa hauteur et de s'en montrer complètement dignes.
« Dédaignant le soupçon et l'imputation d'avoir manqué envers eux à ses engagements, au moment même où elle y ajoute encore, par égard pour leurs habitudes, il suffit à l'Assemblée nationale de les inviter à comparer et à peser ses décrets. Ils y trouveront sa constante attention pour leurs intérêts : elle ne veut point d'autre préservatif contre tous les efforts que l'on pourrait faire pour égarer leur opinion ; elle se fie leur raison et au patriotisme dont ils ont dans tous les temps donné un si grand nombre de preuves. Elle est convaincue que rien .-ne peut les détourner de l'obéissance qu'ils doivent aux décrets du Corps législatif sanctionnés par le roi.
« Sûre de ses principes, investie de toutes les forces de la volonté générale, la nation française doit au maintien de l'ordre, à l'intérêt même des colons blancs, à leur sûreté, à la conservation de leurs rapports commerciaux avec la métropole, de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour assurer dans les colonies l'exécution de 6es lois, pour prévenir le danger des fausses interprétations, et pour arrêter les coupables efforts de tous ceux qui n'aspirent à diviser les esprits, et à fomenter des troubles que pour mettre la liberté publique en danger. Mais la soumission, mais la reconnaissance-des colons libres de toute couleur, et surtout de ceux qui tien tient de plus près à la mère patrie, de ceux qui se sont toujours distingués parmi ses enfants, lui paraissent encore plus solidement fondées sûr leur propre intérêt, sur l'attachement et sur le zèle que mérite, qu'inspire la Constitution, et qu'on n'altérera jamais dans le cœur des bons citoyens. Chez eux toute passion cède à l'amour de la patrie, et si quelque insinuation tendait à l'affaiblissement de ce lien sacré, ils la repousseront avec horreur.
« Dans cette juste confiance, et sans rien préjuger sur le vœu que les colonies sont autorisées à émettre relativement aux lois qui peuvent leur convenir, l'Assemblée nationale a chargé ses comités réunis de Constitution, des colonies, de commerce et de marine, dé rédiger sans délai des projets d'organisation qui seront envoyés aux colonies, non pour porter aucune atteinte à leur initiative, mais comme un recueil- d'idées qui peuvent être salutaires. Les assemblées coloniales sont exhortées à les considérer d'après leur valeur , intrinsèque, sans y attacher le poids d'aucun désir du Corps législatif; elles~pourront les adopter, les modifier, les rejeter même avec une entière liberté, en y substituant lés autres propositions qu'elles croiraient avoir à faire pour leur plus grand bien. L'Assemblée nationale ne doute pas qu'elles ne proposent à la prochaine législature les lois et les mesures les plus propres à concilier tous les intérêts des colonies et de la métropole, et à concourir efficacement à la plus grande prospérité de toutes les parties de l'Empire français. »
(L'Assemblée adopte cette instruction.)
M. Regnaud (de Saint-Jean-d Angely).
Monsieur le Président, je demande que vous soyez chargé dé vous retirer aujourd'hui par devers le roi pour lui porter l'instruction qui vient d'être lue, et le prier de la faire expédier le plus tôt possible dans les colonies; car je dois vous prévenir, Messieurs, qu'un des projets sur lequel les ennemis de la liberté publique qui veulent empêcher l'exécutiop de Votre décret se reposent le plus, est Celui-ci : ils espèrent que les mauvaises interprétations qu'ils ont envoyées aux colonies y produiront promptement leur effet, y occasionneront un mouvement que!conque qu'on se flatte de vous exagérer ici, s'il n'était pas assez fort au gré de la malveillance, pour arracher de [page 607] vous, ensuite par la terreur, la révocation du décret que vous avez rendu.
Je crois devoir avertir l'Assemblée nationale qu'un très grand nombre de citoyens redoutent cette manœuvre, à la possibilité de laquelle on croira, quand on connaîtra, par l'expérience passée, toutes celles dont nous avons été environnés, et tous les moyens que l'on a mis en oeuvre pour anéantir en France les décrets protecteurs de la liberté. (Murmures et applaudissements,)
M. Goupil-Préfein.
J'appuie cette motion.
M. Malouet.
Il est une réponse à faire à M. Regnaud. Je ne sais pas quels sont les mouvements dont on a parlé; mais ce que je sais bien, c'est qu'il est très fâcheux que l'Assemblée n'ait pas voulu connaître quelles sont les difficultés qui, sans mauvaise volonté, contrarieront l'exécution parfaite du décret. (Murmures.)
M. Rewbell
Vous opposez-» vous à la motion de M. Regnaud?
M. Malouet.
Il est très extraordinaire, lorsqu'on a repoussé de toutes les manières les représentations qui arrivent journellement de nos ports, et de la part de ceux qui ne peuvent pas etre accusés d'être imbus des préjugés coloniaux, mais seulement pénétrés des difficultés, des désordres que peuvent y exciter les nouveaux décrets, et qu'on y a substitué avec une grande affectation, une lettre du département de Bordeaux, très contradictoire au vœu du commerce et à son opinion motivée; il est bien extraordinaire, dis-je, que l'on annonce maintenant des mouvements combinés, tandis qu'on n'a pas voulu connaître, apprécier, juger les représentations...
M. Rewbell.
Des factieux...
M. Boutteville-Dumetz.
M. Malouet n'a jamais d'autre projet que d'attaquer les décrets. Il prêche toujours contre les opérations de l'Assemblée nationale.
M. de Cazalès.
L'Assemblée pourrait être comparée à ce roi qui défendit, sous peine de mort, d; lui annoncer qu'il était malade, et qui en mourut- parce qu'aucun médecin n'osa le lui dire. L'Assemblée nationale doit entendre tout ce qu'on a à lui dire.
M. Lavie.
Je demande qu'on entende ceux qui ont des choses utiles à dire.
M. Lanjuinais.
On ne peut pas être entendu quand on plaide contre un décret.
M. le Président.
Je n'ai pas cru qu'il me fût permis d'interrompre M. Malouet, parce que, suivant moi, il n'attaque point les décrets.
M. Malouet.
La preuve que je n'ai pas eu de mauvaises intentions, c'est que je n'ai rien dit sur le projet d'instruction, quoique je ne la croie ni utile, ni convenable; c'est que je n'ai pris la parole que lorsque M. Regnaud, sans mauvaise intention sans doute, mais d'une manière qui m'a paru très insidieuse, vous a présenté les difficultés attachées à votre décret, comme la suite de mouvements combinés par des ennemis de la Révolution. Or, Messieurs, je dis qu'une telle observation est d'autant plus déplacée, que les ports de mer qui se sont montrés les plus ardents pour la Révolution sont dans ce moment-ci dans une alarme extrême sur les suites de votre décret... (C'est faux!) Messieurs, cela est; je le certifie, et je ne doute pas qu'un très grand nombre de membres dans cette Assemblée n'en ait aussi la certitude. D'après cela, s'il avait été question de concerter les mesures pour, sans rétracter votre décret, en atténuer les inconvénients et en rendre l'exécution plus facile...
M. Rewbell.
Je demande la parole.
M. Malouet.
Vous l'aurez, Monsieur. Je crois qu'il eût été possible, par un article interprétatif qui est à peu près indiqué dans les instructions qu'on vient de vous lire, mais qui se trouve.contrarié par les paragraphes qui précèdent et qui suivent, il eût été possible de rendre aux colonies la paix que cette nouvelle disposition va tout à fait leur ôter; il eût été possible qu'après avoir prononcé le principe de l'admissibilité des gens de couleur dans les assemblées primaires, vous laissassiez aux assemblées coloniales à déterminer les conditions d'éligibilité pour les assemblées représentatives. (Murmures.)
Encore une fois, si on ne vous avait épargné des développements et des détails de localités qui contrastent trop avec les principes prononcés de notre Constitution, et avec le langage habituel de l'Assemblée, vous auriez senti qu'il est contre toute possibilité qu'un nègre libre se trouve admis comme juge de paix ou comme administrateur à côté d'un colon blanc qui aurait chez lui ses neveux ou ses frères esclaves.
D'après cela, il ne faut pas que l'Assemblée nationale, qui-a droit au respect et à l'obéissance de la part de toutes les parties de l'Empire, s'accoutume dans ce moment à croire que les observations qui lui seront probablement présentées par les colonies, soient le résultat de mouvements combinés. Il n'y a point de colon qui ne perde en cessant d'être Français; il n'y a point de colon qui ne sente avec horreur les inconvénients affreux d'une scission; il n'y a point de colon instruit qui ne sache que, même en voulant se rendre indépendant de la France, il éprouverait sur cela les plus grandes difficultés. Que signifient donc ies inconvénients dont on vous parle ? Il semble qu'il y a déjà un plan de conspiration formé à Paris delà part des colonies contre la métropole.
Voix diverses ; Oui ! oui 1 — Non ! non î
M. Lavie.
Je demande que l'Assemblée entende un de ses membres, qui lui dira la vérité, (murmures prolongés à gauche.)
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angèly).
Je demande, Monsieur le Président, que vous imposiez silence à M. Lavie.
M. Lavie.
Je demande que, quand on dit qu'il y a des traîtres parmi les colons, je puisse donner un démenti formel à qui l'avance. On dit qu'il y aune conjuration ; je dis que ce n'est pas vrai.
M. Malouet.
Je ne finirai point sans vous dire que les instructions que vous venez de décréter feront encore plus de mal que le décret, si vous ne voulez point y ajouter un article ; si vous ne renvoyez complètement et décidément aux assemblées coloniales à exercer leur initiative pour la [page 608] détermination du mode et des conditions d'éligibilité aux assemblées représentatives...
Un membre : Le décret est rendu.
M. Malouet.
Non, Messieurs, cela n'est pas décrété.
Plusieurs membres : Si ! si !
M. Lavie.
Cela n'est pas vrai, cela n'est pas possible!
M. Malouet.
Non, Messieurs, cela n'est point décrété. Je tiens dé plusieurs membres de la majorité qu'ils n'ont pas entendu ce que l'on voulait dire. D abord, par vos assemblées coloniales, ils ont cru qu'il était question d'assemblées primaires. Or, l'assemblée coloniale est la représentation de l'Assemblé nationale dans chaque colonie. C'est donc une chose très différente d'admettre des gens de couleur nés de pères et mères libres pour exercer les droits politiques dans les assemblées primaires, ou de les admettre saus autre condition aux assemblées représentatives. Cette dilférence-là est le nœud de la difficulté : cette différence seule est l'objet de l'effroi et des désordres possibles dans les co!ônie3 ; cette différence-là pourrait produire dans les colonies des explications satisfaisantes, si vous leur donnez le temps de les proposer. Vous reconnaîtrez par là, Messieurs, les inconvénients d'une admission trop subite aux assemblées représentatives de la part des gens de couleur dans telle ou telle position ; il n'est pas de vrai colon qui ne sache qu'il y aurait les plus grandes difficultés à remplir un pareil projet.
Je propose donc de décréter, en admettant les hommes de couleur et nègres libres aux assemblées primaires, que les assemblées coloniales auront l'initiative de déterminer le mode et les conditions d'éligibilité aux assemblées représentatives. Je crois ma proposition propre à prévenir les troubles et je persiste à demander quelle soit mise aux voix. (Murmures.)
M. le Président.
Je mets aux voix la proposition de M. Regnaud.
M. Foucauld-Lardimalie.
Avant que vous mettiez aux voix la motion de M.Regnaud, je demande à exposer comment on se comporte ici pour rejeter ses fautes sur ses adversaires. Comment M. Regnaud a-t-il préditce qui arriverait aux colonies? C'est que sans doute il a connaissance de certaines adresses qui sont arrivées à l'Assemblée nationale, entre autres de celle du commerce de Nantes, qui nous dit positivement ce qui arrivera dans les colonies. Je demande qu'on en fasse lecture comme on a fait lecture de plusieursautres, de celle du café national de Bordeaux, entre autres.
M. Dupont (de Nemours).
Il y a quatre jours que j'ai vu sur le bureau du comité colonial une adresse de Nantes qui annonce de grands malheurs et qui est contraire à vos décrets. Or, le courrier n'est point encore revenu de Nantes. L'adresse ne peut donc en arriver.
(...)
M. Bégouen.
Il a été envoyé par le commerce du Havre une adresse, cette adresse témoigne les craintes et les doutes que doit produire l'envoi de votre décret; cette adresse-là est signée de la quasi-totalité des habitants du Havre ; elle est ici entre les mains des députés. (Bruit.)
M. Rewbell.
Oui, entre vos mains.
M. de Cazalès.
Ce n'est pas en refusant d'entendre les adresses des différentes villes du royaume; ce n'est pas en rendant difficile le chemin qui peut les faire parvenir jusqu'à nous, que vous pourrez apprendre si elles sont controuvées ou réelles; si elles sont véritablement le vœu
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du commerce de la France, ou si elles ne le sont pas; si vos décrets s'accordent avec l'opinion, avec les intentions des peuples. Il n'y a d'autre moyen «le s'ecl.iirerà cet égard que d'ouvrir toutes les issues; il faut que l'Assemblée nationale ordonne que si le commerce a des adresses à lui présenter (Murmures à gauche), elles arrivent jusqu'à elle; il faut que l'Assemblée ne veuille pas oublier que le principe de tous ses décrets a été non seulement qu'ils lussent utiles aux peu- Eles, mais même qu'ils obtinssent l'opinion pu- lique. C'est l'opinion publique, dont vpus êtes environnés, qui t'ait toute votre force; C'est elle qui est votre pouvoir exécu if. Lorsqu'elle vous ab mdonriera, vos décrets ne seront plus exé utés.
Je dem inde donc que l'Assemblée nationale veuille bien s'éclairer sur l'effet véritable qu'a produit la publication de votre décret du 15 et qu'elle suspende toutes mesures ultérieures, jusqu'à ce que...
Plusieurs membres à gauche .'A l'ordre du jour 1
M. de Cazalès.
Je demande donc que l'Assemblée nationale suspende toutes mesures ultérieures jusqu a ce que...
M. Rewbell.
Jusqu'à ce qu'on ait pu exciter des troubles dans les colonies.
M. de Cazalès.
Jusqu'à ce qu'elle connaisse d'une manière certaine, d'une manière légale l'opinion du commerce de France, et qu'elle puisse Îïroliter des lumières que lui donneront li s co-ous et les négociants ; car il ne faut pas penser que l'Assemblée nationale soit le foyer exclusif de toutes lumières, qu'elle soit infaillible...
Un membre à gauche : Consultez les hommes libres et non les négociants.
M. de Cazalès.
Si l'Assemblée nationale a rendu un décret funeste à la tranqu llité, à la prospérité, à la richesse nationale, ce qu'elle peut faire de mieux, c'est de suspendre l'exécution ou d'y ajouter quelques modifications.
M. Lanjuinais.
La question préalable sur la proposition de M. de Cazalès.
M. Delavigne.
Je demande si l'intention de l'Assemblée a éié d'accoider, non pas l'initiative, mais li criiique de ses uecrets, à ceux qui écrivent dans les départements pour solliciter la résistance.
M. de Cazalès.
Je demande si l'intenlion de l'Assemblée est de fermer la voie aux réclamations du peuple.
(L'Assemblée ferme la discussion et décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. de Cazalès.)
(Les tribunes applaudissent.)
M. de Cazalès (montrant les tribunes).
Apprenez à ces messieurs à ne pas huer une partie de l'Assemblée ; qu'elle sache se respecter elle-même I
Plusieurs membres réclament la question préalable sur le renvoi de la motion de M. Malouet.
M. Malouet.
L'Assemblée ne peut refuser de renvoyer à l'examen une proposition... {Murmures et interruptions.)
M. Rewbell.
J'appuie la question préalable* Il serait indécent de laisser dire à l'Assemblée qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait.
M. Malouet.
Non, vous ne le saviez pas.
M. le Président.
Je mets aux voix la question préalable proposée sur la motion de M. Malouet.
A droite : Eh ! Messieurs, ne prenons pas part à un tel décret.
(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y pas lieu à délibérer sur la motion de M. Malouet.)
M. le Président.
Je dois déclarer que je n'ai pas reçu d'autre airesse que celle de Bordeaux dont il a été donné lecture à l'Assemblée.
Je vais mettre aux voix la question préalable invoquée contre la motion de M. Regnaud, tendant à-charger le Président de se retirer par devers le roi pour le prier de faire parvenir le plus tôt possible aux colonies l'instruction dont M. Dupont vient de donner lecture.
(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur la motion de M. Regnaud, qui est ensuite mise aux voix et adoptée.)
M. le Président indiqué l'ordre du jour de la séance de demain.
La séance est levée à trois heures.
(le discours de /ce n'a pas vraiment été décrété portera à Saint-Domingue)
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/Louis XVI
1er Juin 1791Bulletin annoté des lois, décrets et ordonnances
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65172061/f202.image
29 mai91 = 1er juin 91
exposé des motifs 13 et 15 mai
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T27 9juin soir
p89-93
Deux officiers du régiment de Port-au-Prince sont admis à la barre.
L'un d'eux prend la parole en ces termes :
Messieurs, les événements funestes qui ont eu lieu dans la colonie de Saint-Domingue, et dont les détails ne vous sont pas encore bien connus, nous ont forcés à nous en éloigner, et à venir rendre compte, à cette auguste Assemblée, des faits dont nous avons été témoins, si vous voulez bien nous entendre.
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====5 sept91 préambule / 11 juin 91 Brest première apparition
PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD, EX-PRÉSIDENT.
Séance du samedi 11 juin 1791, au soir.
La séance est ouverte à six heures du soir.
T27 p140
M. le Président.
Une députation des citoyens de la ville de Brest, département du Finistère, demande à être admise à la barre, pour présenter une pétition à l'Assemblée.
(L'Assemblée ordonne que cette députation soit admise à la barre.)
La députation est introduite.
L'orateur de la députation s'exprime ainsi :
« Messieurs,
« Nous avons toujours cru que la meilleure manière d'applaudir à vos travaux était d'accélérer l'exécution de vos décrets, et que la prospérité publique en était l'apologie la plus convaincante. Le département du Finistère en donna la preuve, et les citoyens de Brest ont pu se féliciter plus d'une fois d'avoir contribué à hâter cet heureux résultat. Le même succès couronnera le décret qui déclare citoyens, qui déclare hommes libres, c'est-à-dire Français, nos frères les hommes de couleur. Des extrémités du royaume nous accourons pour vous le garantir. Vainement ceux qui ne sont pas à la hauteur de vos principes, voudraient-ils rendre la nature complice du nouveau système de tyrannie qu'ils cherchaient à conserver : la voix de la raison, l'autorité des nouvelles lois feront disparaître toutes ces nuances d'esclavage que le prisme de l'aristocratie faisait apercevoir, pour dégrader l'espèce humaine. Le décret que vous avez rendu malgré les murmures de la cupidité et de quelques passions viles, fera tressaillir de joie tous les hommes bons et généreux, tous les amis de l'humanité, tous les amis de notre Constitution. Nous nous hâtions de vous en apporter l'assurance; mais,
quel qu'ait été notre empressement, déjà nos frères de Bordeaux et de plusieurs autres villes maritimes nous ont prévenus : c'est une certitude de plus que notre patriotisme ne nous avait pas trompés. Nous venons, animés du même zèle, pour solliciter l'envoi de gardes nationaux en Amérique, non pour y faire la guerre, sans doute, mais pour resserrer les liens qui unissent plus particulièrement les villes maritimes à nos colonies, mais pour convaincre tous ceux qui seraient égarés sur les véritables intentions de l'Assemblée nationale. Des citoyens éprouvés peuvent seuls être chargés de cette honorable mission. Nous le disons avec franchise. Messieurs, il faut peu compter sur ceux auxquels on a confié jusqu'à présent dans cette partie de l'Empire, les intérêts de la chose publique. Plusieurs officiers qui ont commandé méritent plus ou moins d'être blâmés ; ils sont plus ou moins ennemis de la Constitution; et ce sont ses vrais amis, ses plus zélés défenseurs, qu'il faut envoyer dans les colonies. Voilà pourquoi nous désignons les gardes nationaux.
« Nous ajoutons que l'envoi d'une escadre commandée par des officiers vraiment citoyens, qui transporterait en Amérique des gardes nationaux, peut seule rétablir la paix dans les colonies. Daignez accueillir favorablement cette pétition, Messieurs, et, dès ce moment, d'excellents patriotes, d'habiles marins accourront en foule pour achever cette noble entreprise. Ainsi vous assurerez à nos frères d'Amérique la jouissance paisible des biens que vous leur avez procurés; ainsi vous consacrerez un nouveau monument à la félicité générale. Nous ne nous laisserons pas entraîner ici à des éloges dont vous devez être fatigués : 1rs nations étrangères s'ébranlent pour nous imiter; c'est là le seul éloge qui soit digne de vous, et pour être heureux, les Français n'ont besoin que de rester ce que vous les avez faits. (Applaudissements.)
« Nous demandons à être autorisés à déposer sur le bureau la pétition dont nous sommes chargés, et les pièces authentiques qui en garantissent la preuve.
« Signé : Thomas Gorjy, fondé de procuration des citoyens actifs de la ville de Brest; Thomas Raby, fondé de procuration des citoyens actifs de la ville de Brest. »
M. le Président répond :
Messieurs,
« Les sentiments connus des citoyens de l'ancienne province de Bretagne et ceux de la ville de Brest en particulier, nous sont de sûrs garants des efforts dont ils seraient capables pour ramener et maintenir la paix dans les colonies. L'Assemblée nationale reçoit avec intérêt les nouveaux témoignages de votre dévouement; elle prendra votre pétition en considération, et vous accorde les honneurs de sa séance. »
Un membre demande que le discours prononcé par la députation de Brest soit inséré dans le procès-verbal et que la pétition, avec les pièces justificatives y jointes, soit renvoyée au comité colonial pour en rendre compte à l'Assemblée.
(L'impression et le renvoi sont décrétés.)
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ASSEMBLÉE NATIONALE.
PRÉSIDENCE DE M. DAUCHY.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495428/f217
Séance du mardi 14 juin 1791.
(...) T27 p213 (deuxième colonne)
L'ordre du jour est la discussion du projet d'instruction à envoyer aux colonies.
M. Defermon, au nom des comités de Constitution, des colonies, de la marine, d'agriculture et de commerce. Messieurs, les instructions pour les colonies, préparées dans votre comité colonial, ont été examinées et discutées avec le plus grand soin dans vos comités de Constitution, d'agriculture et de commerce et de marine; ils y ont fait les corrections qu'exigeaient les principes de votre Constitution et vos derniers décrets sur les colonies. Le résultat de leur travail est un plan de Constitution adopté à la colonie principale, celle de Saint-Domingue, et dans lequel il n'y aura rien à changer, pour les autres colonies, que le nombre des établissements, etc.
Je vais donner lecture de ce document à l'Assemblée.
M. Duport.
Permettez-moi, Messieurs, une courte observation. Peut-être le litre d'instruction a égaré l'Assemblée; ici il s'agit d'un travail en 300 articles. La lecture de ce projet sera très longue, très fatigante et peu fructueuse ; il me semble qu'il serait plus utile qu'ayant d'être mis en délibération, il fut livré à l'impression, pour qu'on pût le méditer à loisir et le discuter ensuite article par article.
M. Defermon, rapporteur.
L'Assemblée nous avait ordonné de lui présenter aujourd'hui cette instruction comme extrêmement urgente; et, en effet, les commissaires dont vous avez décrété depuis longtemps l'envoi dans les colonies, ne sont pas encore partis, parce qu'ils attendent des instructions, et que celles-ci, qui feront voir aux colonies que l'Assemblée nationale s'occupe de leur Constitution, sont les meilleures dont on puisse les charger. Je crois donc qu'on ne saurait mettre trop de célérité dans l'envoi de ces instructions.
Si toutefois l'Assemblée croit devoir ordonner au préalable l'impression du travail de ses comités et le livrer à la discussion article par article, je n'ai nul molif de m'y refuser.
M. de Tracy.
Le dernier décret de l'Assemblée sur les colonies ayant paru devoir être suivi d'une instruction, et cette instruction ayant éprouvé beaucoup de lenteurs dans sa confection, le même m mbre vous dit que le plan de Constitution était la meilleure instruction que l'on pût envoyer. Cependant, l'Assemblée en jugea autrement, et décréta l'envoi de l'instruction présentée par M. Dupont. Pourquoi cette instruction n'est-elle pas encore envoyée? Pourquoi, dans les bureaux du ministère, comme dans vos comités, fait-on toujours la même réponse? Le plan de Constitution est la meilleure instruction. Pourquoi s'oppose-t on à l'envoi des décrets ; surtout à l'envoi des forces qui doivent en assurer l'exécution? Espère-t-on de faire rétrograder l'Assemblée nationale? Je demande que l'on n'attende pas pour le départ des commissaires, et pour l'envoi des décrets qu'ils doivent porter clans les colonies, la discussion, qui peut être très longue, de l'instruction que l'on vous présente aujourd'hui.
Et d'abord, c'est une très grande question que de savoir si, ayant donné l'initiative exclusive aux assemblées coloniales, nous devons leur faire un plan de Constitution; ensuite si, dans tous les cas vous devez admettre l'article 2 qu'on ncus présente, lequel suppose que les colonies auront des représentants dans l'Assemblée nationale ou si elles ne doivent pas plutôt avoir un chargé d'affaires auprès d'elle, et avoir des corps législatifs particuliers, dont les actes seraient soumis à la sanction de l'Assemblée nationale.
Avant de vous jeter dans cet immense travail, que peut-être les affaires de France ne nous permettent pas d'entreprendre, je demande qu'on ordonne le départ des commissaires avee les décrets et les instructions dont vous les avez déjà chargés.
M. de Montlosier.
Je pense absolument comme le préo; inant sur la proposition qui nous occupe en ce moment. Il est impossible, sous prétexte d'instructions que vous avez décrétées pour les colonies, d'envoyer une Constitution .immense qui certainement sera sujette ici à beaucoup de débats, qui peut-être éprouvera beaucoup de difficultés de la part des colonies, surtout dans ce moment où il est notoire que ces instructions sont soumises à l'Assemblée nationale lorsque les députés des colonies n'y sant pas; lorsque ces députés, qui ont la conliance des colonies, ne peuvent pas vous faire entendre leurs réclamations," leurs vœux et leurs intérêts. Je crois donc, Messieurs, que sous ce point de vue ce projet d'instruction doit être ajourné.
M. Démeunier.
Messieurs, le travail qui doit vous être lu, si l'Assemblée l'ordonne, a été concerté avec les députés des colonies qui ont tous conc ouru à sa rédaction ; on a même admis aux conférences les membres de la ci-devant assemblée de Saint-Marc.
D'un autre côté, l'antépréopinant a commis une erreur de fait assez grave. Il n'est pas question ici de rien décréter sur la Constitution des colonies; il s'agit seulement d'autoriser vos comités à envoyer aux colonies une instruction comme simple mémoire. Cette instruction est nécessaire surtout pour éclairer les petites colouies; il est aisé de concevoir que Cayenne, par exemple, ou Chanderriagor ou telle autre petite colonie serait très embarrassée si vous ne lui donniez pas une sorte de canevas. C'est donc, je le répète, un simple projet de Constitution, que les colonies suivront ou ne suivront pas, mais qui ne vous engage pas, puisque ce n'est pas un décret que vous rendez, mais un simple mémoire instructif dont vous ordonnerez l'envoi dans les colonies. Vous pourrez même, sans approuver l'instruction en e le-même, approuver qu'elle soit envoyée dans les colonies.
Il n'y a donc rien ici qui retarde le départ des commissaires; et si vous voulez laisser lire ces instructions et les approuver, elles peuvent partir dans trois jours.
Quant à la question de savoir si les colonies auront des représentants dans l'Assemblée nationale législative de France, ou si, comme les colonies anglaises, elles auront des corps législatifs particuliers, il serait facile de supprimer des instructions tout ce qui paraîtrait la préjuger, si toutefois elle peut être préjugée par des instructions qui, avec la mesure que j'indique, ne vous engage à rien du tout.
Il faut donc se placer au véritable point de la question : L'Assemblée veut-elle entendre une simple lecrure du projet qui sera envoyé aux colonies sans rien d'impératif, en les avertissant qu'elles restent les maîtresses de proposer un autre plan, et que l'Assemblée nationale se réserve d'une manière formelle de statuer définitivement, soit dans le sens des instructions, soit dans un sens contraire?
M. de Tracy.
Je demande ce que seront des instructions que vous ne discutez et que vous ne décréterez pas. Il n'y a qu'une manière pour cette Assemblée de faire des actes quelconques, c'est de les réfléchir ; car enfin ces instructions auront dans les colonies une influence, quelconque; si vous en approuvez l'envoi sans les avoir réfléchies, prenez garde qu'elles n'aient une influence très dangereuse, qu'un seul article mal rédigé, y répande un germe de trouble. Enfin je ne sais ce que c'est que d'envoyer des commentaires de décrets sans les examiner.
M. Démeunier.
Il ne s'agit pas ici de commentaires de décrets : il s'agit uniquement de savoir si vous autoriserez vos comités à envoyer dans les colonies les éclaircissements qu'ils croient nécessaires pour leur indiquer la manière dont elles doivent savoir s'occuper de dresser un plan de Constitution; car enfin elles auront à s'occuper de matières entièrement inconnues jusqu'ici, par exemple de savoir comment s'exercera le
[page 215] pouvoir législatif, l'autorité administrative ; quelle y Sera l'action du pouvoir exécutif et autres questions sur lesquelles les petites colonies ont besoin qu'on leur donne des éclaircissements et des définitions pour les mettre à même d'exprimer leur opinion.
Je demande donc, Monsieur le Président, que vous consultiez l'Assemblée pour savoir si elle veut entendre la lecture de l'instruction.
Plusieurs membres : Aux voix, la lecture! Consultez l'Assemblée, Monsieur le Président I
M. Prieur.
Je demande que cette discussion inutile soit fermée et que l'on passe à la lecture.
M. Malouet.
Messieurs... {]Murmures.)
M. Prieur.
Allons, Monsieur le Président, consultez l'Assemblée {Rires.),
Plusieurs membres à droite : Rappelez les Jacobins à l'ordre !
Un membre à droite : Le Président en est 1
M. Lavie.
Oui, et l'on s'en fait honneur! -
(L'Assemblée, consultée, ferme la discussion et décrète que la lecture de l'instruction sera faite sur-le-champ.)
M. Malouet.
Messieurs, vous ne sentez pas.
M. de Montlosier.
Je demande qu'on nous lise à la place d'imitation de lésus-Christ : cela nous sera plus utile.
M. de Folleville.
Vous levez la séance, par le fait.
M. Defermon, rapporteur.
Voici, Messieurs, le projet d'instruction de vos comités :
COLONIE DE SAINT-DOMINGUE.
TITRE PREMIER.
Bases générales.
Art. 1er. (...)
T27 pp215- 230
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495428/f219
(…)
M. Defermon, rapporteur.
Voici maintenant notre projet de décret :
« L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture des instructions 'proposées par les comités réunis des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce,
« Décrète que son président se retirera par devers le roi, pour le prier de les faire adresser, ainsi que le présent décret, au gouverneur de la colonie de Saint-Domingue, pour servir de mémoire et d'instruction seulement ;
« Que l'assemblée coloniale pourra mettre provisoirement [p231] à exécution, avec l'approbatiiM préalable du gouverneur, les dispositions des instructions et des différents décrets de l'Assemblée nationale qu'ils croiront pouvoir convenir à la colonie.
« A cet effet, et pour mettre 4'assemblêe coloniale à même d'user de cette faculté, H lui sera adressé un exemplaire des décrets de l'Assemblée nationale, acceptés et sanctionnés par le roi, à titre d'instruction seulement, et sans qu'aucune disposition des décrets qui n'auraient pas été faits pour les colonies, puisse y être appliquée avec ou sans modifications, pair rassemblée coloniale qu'avec l'approbation provisoire du gouverneur. »
M. Pétion de Villeneuve.
L'ouvrage que l'on vient de vous lire est immense ; il contient l'organisation entière de nos colonies, régime intérieur, régime extérieur, lois réglementaires, et je ne crains pas de le dire, il n'est personne dans l'Assemblée, autre cependant que ceux qui ont participé à la rédaction de ce travail, qui puisse, avec la moindre connaissance de cause, y donner son adhésion, car pour nous, nous ne le connaissons pas.
Je suppose que les colonies les admettent telles qu'elles sont rédigées, l'Assemblée se trouvera engagée, puisqu'on aura adopté son propre ouvrage. On y dit bien que les hommes de couleur sont citoyens actifs, mais on n'y dit pas qu'ils sont éligibles. Je demande donc, qu'afin de savoir à quoi ces instructions nous engagent, elles soient imprimées et discutées avant d'être envoyées dans les colonies.
M. l'abbé Grégoire.
Il est, bien évident que l'Assemblée nationale ne peut pas, d'après une simple lecture, envoyer dans les colonies cette espèce d'encyclopédie législative. Il est pressant d'envoyer des forces pour assurer l'exécution du décret sur les hommes libres de couleur. Je demande…
M. Lavie.
Vous avez envie de mettre le feu dans les colonies... {Murmures.) Vous, évêque, ministre d'un Dieu de paix, vous êtes un boutefeu... (Bruit). Vous perdrez les colonies, Monsieur, par vos discours et par vos écrits. (Bruit.)
La majorité du côté gauche rappelle à grands cris M. La vie à l'ordre.
M. l'abbé Grégoire.
Puisqu'on m'interrompt d'une façon si malhonnête…
M. Cigongne.
C'est une calomnie !
M. Lavie.
C'est une vérité l
M. l'abbé Grégoire.
Je n'ai jamais prêché aux colonies que la soumission à la métropole, et je ne sais pas si les colons en font autant.
Après avoir appuyé de toutes mes forces le décret que vous avez rendu en faveur des gens de couleur, j'ai cru entrer dans les vues de l'Assemblée en adressant aux gens de couleur une lettre par laquelle je les engage plus que jamais à resserrer les liens qui les unissent à la France. Je défie à quelqu'un de bonne foi de voir dans cette lettre autre chose qu'une intention pure et sincère d'attacher les gens de couleur à la mère patrie. J'en appelle à votre témoignage, puisqu'elle a été distribuée à tous les membres de l'Assemblée nationale (1). (Applaudissements.)
Après avoir exposé ce fait, je demanderai qu'on vous représente la lettre de M. de Gouy d'Arsy, par laquelle il a l'air d'émettre son dernier cri de désespoir.
Qu'il me soit permis actuellement de lire 4 lignes de cette lettre qu'on me reproche, puisque j'ai été inculpé d'une manière indécente et calomnieuse.
M. Lavie.
C'est une vérité! (Murmures.)
Plusieurs membres : A l'ordre, Monsieur Lavie ! C'est un calomniateur !
M. Gombert.
Monsieur Lavie, vous êtes un vil et intéressé calomniateur!
M. l'abbé Grégoire.
Voici, Messieurs, les derniers mots de ma lettre :
« Religieusement soumis aux lois, inspirez-en l'amour a vos enfants; qu'une éducation soignée développant leurs facultés morales prépare à la génération qui vous succédera des citoyens vertueux, des hommes publics, des défenseurs de la patrie.
« Comme leurs cœurs seront émus, quand les conduisant sur vos rivages vous dirigerez leurs regards vers la France en leur disant : Par delà ces parages est la mère patrie; c'est de là que sont arrivés chez nous la liberté, la justice et le bonheur ; là sont nos concitoyens, nos frères et nos amis; nous leaar avons juré une amitié éternelle- Héritiers de nos sentiments, de nos affections, que vos cœurs et vos bouches répètent nos serments ; vivez pour les aimer, et, s'il le faut, mourez pour les défendre. » (Vifs applaudissements.)
M. de Folleville.
C'est un mandement et et une usurpation d'un évêque de département pour faire la Constitution.
M. le Président.
A l'ordre, Monsieur I II n'y a point là de mandement.
M. Lavie.
Lisez donc le haut de la page 9
Plusieurs membres : Nous l'avons lu.
M. l'abbé Grégoire.
Après en avoir hautement appelé à l'opinion publique de la pureté de mes sentiments, je conclus en demandant que l'on se hâte de faire partir au plus tôt pour les colonies et votre adresse, et votre décret^ et les commissaires; et, si on ne juge pas à propos de faire droit à la pétition de la ville de Bordeaux, je demande qu'on la renvoie au plus tôt au ministre de la marine afin que, sur sa responsabilité, il assure la tranquillité et l'exécution du décret. (Applaudissements à gauche.)
M. Malouet.
Je ne crois pas qu'il se trouve un ministre aussi hardi que le préopinant pour, sur sa responsabilité, vous garantir la paix dans les colonies. Il est sans doute bien fâcheux pour les colonies d'avoir été depuis trop longtemps travaillée par le zèle apostolique...
[page 232]
M. Gombert.
Il vaut bien le vôtre (Rires)... Tous vos efforts viendront échouer... (Murmures à droite.) Dix mille comme moi en sauraient mettre à la raison cent mille comme vous.
Un membre : Monsieur le Président, levez la séance !
M. Malouet.
Je n'ai rien entendu de l'éloquente apostrophe.
L'Assemblée ne se trouve embarrassée que parce qu'elle a interverti la marche qu'elle s'était prescrite à l'égard des colonies et que maintenant elle ne sait plus quel parti prendre, parce qu'elle a abandonné sa promesse ae ne statuer que d'après leurs propres représentations (Murmures)... Il n'y a pas là d'attaque contre personne.
M. Merlin.
Seulement contre les décrets.
M. Malouet.
On vient de vous rappeler que la ville de Bordeaux vous avait fait les offres les plus patriotiques et qu'il fallait se hâter de les accepter. Rien de plus dangereux que ce nouveau conseil de recourir aux offres très indiscrètes, très répréhensibles, d'une portion de la ville de Bordeaux...
A gauche : Très patriotique ! C'est le contrepoison de ce que vous faites.
M. Malouet.
...désavouérs parce qu'il y a de plus éclairé, de plus important dans le commerce de Bordeaux ; offres qui font le désespoir des armateurs de Bordeaux ; offres qui, à ce que j'espère, ne seront jamais réalisées par les citoyens français.
M. Pétion de Villeneuve.
Sans doute, M. Malouet n'a pas connaissance d'une nouvelle adresse de Bordeaux, qui, non seulement contient les mêmes principes, mais encore qui s'exprime dans les termes les plus énergiques et les plus patriotiques et dans laquelle on insiste de nouveau sur toutes les mesures précédemment proposées.
M. Malouet.
J'ai connaissance de tout.
M. de Lachèze.
J'ai à demander à M. Pétion s'il croit que toute la ville de Bordeaux consiste dans le club des Jacobins.
M. Malouet.
Je ne conseille pas à la ville de Bordeaux de réaliser ses offres.
Il est bien certain que ce que quelques membres de l'Assemblée ont appelé la mauvaise volonté du comité colonial est une calomnie irréfléchie, parce qu'on ne peut pas nier que ceux qui ont concouru à ce travail avaient intérêt à ce qu'il réussît. Tous ceux qui, dans le comité colonial, ont un avis éclairé, ont pensé que le travail que vous a lu M. Defermon pouvait être utile aux colonies; mais ils ont été divisés sur le danger qu'il y avait d'en faire la lecture dans l'Assemblée nationale.
11 fallait plutôt autoriser tacitement vos comités à faire parvenir ce travail aux assemblées coloniales ; car, si vous y avez fait attention, tous les articles sont tournés en décrets impératifs, et paraîtront, en conséquence de la lecture faite ici, un commencement de votre volonté.
Je vois, dans la mesure qui a été prise, de très grands inconvénients, à moins que vous ne mettiez dans le décret une modification qui exprime en même temps que vous n'avez point délibéré, que vous n'avez entendu qu'accorder confiance au travail réfléchi et longtemps discuté dans vos colonies ; mais que vous n'avez point entendu délibérer sur un pareil travail. Si vous n'y mettez pas cette latitude, vous paraîtrez effectivement donner aux colonies un ordre de le recevoir.
Voici l'arrêté que je vous propose :
« L'Assemblée nationale ayant entendu, sans en délibérer (Murmures.) la lecture d'un plan de Constitution pour la colonie de Saint-Domingue, qui lui a été proposé par ses comités réunis, a approuvé que ledit plan soit remis comme instruction aux commissaires du roi, pour être par eux soumis à la délibération de l'assemblée coloniale, et être exécuté provisoirement tel qu'il sera arrêté par ladite assemblée et approuvé par le gouverneur. »
M. de Folleville.
Je demande la priorité pour le projet de décret de M. Malouet, attendu que sa rédaction remplit les intentions de l'Assemblée, parce qu'en donnant des mesures provisoires, vous exposez continuellement à des irritations qui toujours ébranlent le gouvernement.
M. Delavigne.
On vous propose aujourd'hui de statuer précisément le contraire de ce que vous avez décrété, et c'est l'Assemblée nationale qui, si vous adoptiez le décret, exercerait l'initiative. (Aux voix! aux voix!)... Les termes d'un décret de cette importance doivent être pesés sérieusement et j'en demande le renvoi à demain.
M. de Tracy.
Je demande que le projet de décret du comité soit adopté sauf rédaction. (Marques d'assentiment.)
(L'Assemblée, consultée, ferme la discussion et adopte, sauf rédaction, le projet de décret des comités.)
M. le Président lève la séance à trois heures.
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Annexe
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495428/f236
Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue et des autres iles françaises de l'Amérique, par M. Grégoire, député à l'Assemblée nationale, évêque du département de Loir-et-Cher
-- -
PRÉSIDENCE DE M. DAUCHY.
Séance du mercredi 15 juin 1791, au matin.
La séance est ouverte à 9 heures du matin.
(L'Assemblée, consultée, décide que le rapport sur l'utilisation du métal des cloches lui sera présenté dimanche prochain.)
M. Defermon, au nom du comité de Constitution, des colonies, de la marine et d'agriculture et de commerce.
Vous avez décrété hier sans rédaction le projet que nous vous avons présenté à la suite de l'instruction sur les colonies. Voici la rédaction que nous vous proposons :
« L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture des instructions proposées par les comités réunis des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce,
« Décrète que son président se retirera par devers le roi, pour le prier de les faire adresser, ainsi que le présent décret, au gouverneur de la colonie de Saint-Domingue, pour servir de mémoire et d'instruction seulement ;
« Que l'assemblée coloniale pourra mettre provisoirement à l'exécution, avec l'approbation préalable du gouverneur, les dispositions des différents décrets rendus pour le royaume, et même celles des instructions qu'ils croiront pouvoir convenir à la colonie, à la charge de rapporter le tout au Corps législatif, pour être soumis a sa délibération et à la sanction du roi.
[page 237]
« Que pour mettre l'assemblée coloniale à même d'user de cette faculté, il lui sera adressé, à titre d'instruction seulement, un exemplaire des décrets de l'Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi. »
M. de Tracy.
Je demanderais seulemeut qu'on décrétât, eu outre, que les décrets rendus expressément pour les colonies doivent y avoir force de loi. je demande cette addition afin que les décrets rendus expressément pour les colonies ne soient pas confondus avec les décrets rendus pour le royaume et qui ne sont que facultatifs.
C'est là l'explication que j'ai donnée hier et que l'Assemblée a paru adopter.
M. Gaultier-Biauzat.
Au lieu de mettre « expressément », je demande qu'on mette « spécialement ».
M. de Tracy.
Voici comme je réduis ma proposition ; elle consiste à ajouter au décret la disposition suivante :
« Décrète en outre que les décrets rendus spécialement pour les colonies y auront force de loi, et que rien ne peut s'opposer à leur entière exécution. »
M. Defermon, rapporteur.
J'adopte le sens de l'article additionnel proposé par le préopinant et je crois qu'au moyen d'un léger changement, notre rédaction remplira le vœu de l'Assemblée.
Voici ce que nous proposons : - « L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture des instructions proposées par les comités réunis, des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce,
« Décrète que son président se [retirera par-devers le roi pour le prier de les faire adresser, ainsi que le présent décret, au gouverneur de la colonie de Saint-Domingue pour servir de mémoire et d'instruction seulement ;
« Que l'assemblée coloniale pourra, en se conformant aux décrets rendus pour les colonies, desquels elle ne pourra arrêter ni suspendre l'exécution, mettre provisoirement à exécution, avec l'approbation préalable du gouverneur, les dispositions des différents décrets rendus pour le royaume, et même celles des instructions qu'ils croiront pouvoir convenir à la colonie, à la charge de rapporter le tout au Corps législatif, pour être soumis à sa délibération et à la sanction du roi;
« Que, pour mettre l'assemblée coloniale à même d'user de cette faculté, il lui sera adressé, à titre d'instruction seulement, un exemplaire des décrets de l'Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi. »
(Cette rédaction est mise aux voix et adoptée.)
_____ __
15juin91 = 10juillet91
mémoire en forme d'instruction SD
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65172061/f221.image
-----→ 15 juin = 10 juillet car fuite de Louis XVI.
La fuite de Louis XVI a eu une incidence sur les événements de Saint Domingue, pas assez considérée.
/21 juin 1791.
En France, certaines personnes essaient de présenter l'événement comme un enlèvement (lafayette, alexandre lameth (son frère Charles fait le contraire) etc).
Mais ça ne prendra pas, ne peut pas prendre. Il y a d'abord la lettre lue le 21 juin devant l'assemblée, puis la déposition du 25 juin qui annihilent cette version.
Cependant, si la version "enlèvement" n'a pas eue de prise à l'assemblée et à Paris, on peut voir dans les correspondances avec la Province qu'il n'en est pas de mème. Tout dépend qui les a prévenus, et comment l'événement leur a été présenté.
Or, on voit beaucoup de correspondances évoquant "l’enlèvement" - ce qui suppose que ceux qui ont écrit ont utilisé ce subterfuge, et nul doute que Saint-Domingue a reçu la nouvelle de cette façon (de plusieurs façons probablement).
le 22 juin, adresse Desmeunier
pp420-422
Roederer réagit, mais le terme n'est pas changé lorsque l'adresse est adoptée.
Démeunier
Alors s'il n'y a pas de réclamations, je proposerai un décret conçu en ces termes :
« L'Assemblée nationale approuve la proclamation dont un membre du comité de Constitution lui a donné la lecture; décrète qu'elle sera imprimée et envoyée à tous les départements, districts et municipalités du royaume, ainsi qu'à toutes les colonies de l'Empire français. »
______ ___
22 juin
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495428/f423
p419 fin- 422
M. Démeunier, au nom du comité de Constitution.
Messieurs vous avez ordonné à votre comité de Constitution de rédiger le projet d'une adresse aux Français dans laquelle on rappellerait d'abord aux citoyens la nécessité de maintenir l'ordre public, et dans laquelle ensuite on répondrait au mémoire du roi déposé sur votre bureau dans la Séance d'hier. Ce mémoire, comme vous savez, est très volumineux et nécessitera vraisemblablement, dans la suite, une réponse plus détaillée. Votre comité n'a pas eu le loisir de faire ce travail ; il s'est contenté en ce moment de saisir les traits les plus saillants du mémoire et s'est attaché à y faire quelques réponses courtes et accommodées aux circonstances.
Voici ce projet d'adresse :
L'Assemblée nationale aux Français.
« Un grand attentat vient de se commettre. L'Assemblée nationale touchait au terme de ses longs travaux ; la Constitution était finie ; les orages de la Révolution allaient cesser ; et les ennemis du bien public ont voulu, par un seul forfait, immoler la nation entière à leur vengeance. Le roi et la famille royale ont été enlevés dans la nuit du 20 au 21 de ce mois. » (Murmures.)
M. Roederer.
C'est faux, il a lâchement déserté son poste !
M. Démeunier, rapporteur.
Je prie l'Assemblée d'écouter avec attention jusqu'à la fin. Le comité de Constitution a rédigé son projet d'adresse dans le sens que les circonstances ont paru lui dicter : peut-être après l'avoir entendu en entier, la réclamation qui vient d'avoir lieu n'existera plus.
Je continue :
« ... Vos représentants triompheront de cet obstacle ; ils mesurent l'étendue des devoirs qui leur sont imposés. La liberté publique sera maintenue ; les conspirateurs et les esclaves apprendront à connaître l'intrépidité des fondateurs de la liberté française ; et nous prenons, à la face de la nation, l'engagement solennel de venger la loi ou de mourir. (Applaudissements.)
« La France veut être libre; et elle sera libre : on cherche à faire rétrograder la Révolution; la Révolution ne rétrogradera point. Français, telle est votre volonté : elle sera accomplie.
« Il s'agissait d'abord d'appliquer la loi à la position momentanée où se trouve le royaume. Le roi, dans la Constitution, exerce les fonctions royales du refus ou de la sanction sur les décrets du Corps législatif ; il est en outre chef du pouvoir exécutif ; et, en cette dernière qualité, il fait exécuter la loi par des ministres responsables. Si le premier des fonctionnaires publics déserte son poste, ou est enlevé malgré lui, les représentants de la nation, revêtus de tous les pouvoirs nécessaires au salut de l'Etat, et à l'activité du gouvernement, ont le droit d'y suppléer : en prononçant que l'apposition du sceau de l'Etat et la signature du ministre de la justice donneront aux décrets le caractère et l'autorité de la loi, l'Assemblée nationale constituante a exercé un droit incontestable. Sous le second rapport, il n'était pas moins facile de trouver un supplément. En effet, aucun ordre du roi ne pouvant être exécuté s'il n'est contresigné par les ministres, qui en demeurent responsables, il a suffi d'une simple déclaration qui ordonnât provisoirement aux ministres d'agir sous leur responsabilité, sans la signature du roi.
« Après avoir pourvu aux moyens de compléter et de faire exécuter la loi, les dangers de la crise actuelle sont écartés à l'égard de l'intérieur du royaume. Contre les attaques du dehors, on vient de donner à l'armée un premier renfort de 400,000 gardes nationales. Au dedans et au dehors, la France a donc toute sorte de motifs de sécurité, si les esprits ne se laissent point frapper d'étonnement, s'ils gardent de la modération. L'Assemblée nationale constituante est en place ; tous les pouvoirs publics, établis par la Constitution, sont en activité ; le patriotisme des citoyens de Paris, sa garde nationale, dont le zèle est au-dessus de tout éloge, veillent autour de vos représentants. Les citoyens actifs du royaume entier sont enrôlés, et la France peut attendre ses ennemis.
« Faut-il craindre les suites d'un écrit arraché avant le départ de ce roi séduit, que nous ne croirons inexcusable qu'à la dernière extrémité? On conçoit à peine l'ignorance et les prétentions de ceux qui l'ont dicté : il sera discuté par la suite avec plus d'étendue, si vos intérêts l'exigent ; mais il est de notre devoir d'en donner ici une idée.
« L'Assemblée nationale a fait une proclamation solennelle des vérités politiques; elle a retrouvé, ou plutôt elle a rétabli les droits sacrés du genre humain : et cet écrit présente de nouveau la théorie de l'esclavage.
« Français I on y rappelle cette journée du 23 juin, où le chef du pouvoir exécutif, où le premier des fonctionnaires publics osa dicter ses volontés absolues à vos représentants, chargés par vos ordres de refaire la Constitution du royaume.
« On ne craint pas d'y parler de cette armée qui menaçait l'Assemblée nationale au mois de juillet; on ose se faire un mérite de l'avoir éloignée des délibérations de vos représentants.
« L'Assemblée nationale a gémi des événements du 6 octobre. Elle a ordonné la poursuite des coupables; et parce qu'il est difficile de retrouver quelques brigands au milieu de l'insurrection de tout un peuple, on lui reproche de les laisser impunis! on se garde bien de raconter les outrages qui provoquèrent ces désordres. La nation était plus juste et plus généreuse : elle ne reprochait plus au roi les violences exercées sous son règne, et sous le règne de ses aïeux. (Applaudissements.)
« On ose y rappeler la fédération du 14 juillet de l'année dernière. Qu'en est-il resté dans la mémoire des auteurs de cet écrit ? C'est que le premier fonctionnaire public n'était placé qu'à la tête des représentants de la nation. Au milieu de tous les députés des gardes nationales et des troupes de ligne du royaume, il y prononça un serment solennel ; et c'est là ce qu'on oublie I Le serment du roi fut libre ; car il dit lui-même que c'est pendant la fédération, qu'il a passé les moments les plus doux de son séjour à Paris ; qu'il s'arrête avec complaisance sur le souvenir des témoignages d'attachement et d'amour que lui ont donnés les gardes nationaux de toute la France. Si un jour le roi ne déclarait pas que des factieux l'ont entraîné, ou aurait dénoncé son parjure au monde entier.
(…)
« Le grand, presque l'unique intérêt qui doive nous occuper particulièrement jusqu'à l'époque très prochaine où l'Assemblée nationale aura pris une résolution définitive, c'est le maintien de l'ordre. L'ordre peut exister partout où il existe un centre d'autorité; il se trouve dans l'Assemblée de vos représentants. Il suffira provisoirement, si la voix des citoyens prononce avec énergie l'obligation de respecter la loi; si la force publique de l'armée, des gardes nationales, et de tous les Français en appuie l'exécution. Nous gémirons des malheurs de notre roi ; nous appellerons la vengeance des lois sur ceux qui l'ont entraîné loin de son poste; mais l'Empire ne sera point ébranlé; l'activité de l'administration et de la justice ne sera point ralentie. Ralliez-vous donc sur ce point, auquel le salut de la France est attaché : surveillez ces hommes qui ne voient dans les calamités publiques qu'une occasion favorable à leur brigandage. Unissez vos efforts pour empêcher les violences, pour assurer le payement des contributions et la libre circulation des subsistances, pour maintenir la sûreté des personnes et de tou es les propriétés. Montrez la loi aux coupables; fortifiez les autorités constitutionnelles de toute la puissance delà volonté générale; que les factieux qui demandent le sang de leurs concitoyens voient l'ordre se maintenir au milieu des orages, la Constitution s'affermir et devenir plus chère aux Français par les coups qu'ils lui portent; et qu'enfin les dangers qui vous étaient réservés, n'atteignent que les ennemis de votre bonheur. La capitale peut servir de modèle au reste de la France : le départ du roi n'y a point causé d'agitation ; et, ce qui fait le désespoir de nos ennemis elle jouit d'une tranquillité parfaite. (Vifs applaudissements )
« Il est, envers les grandes nations, des attentats que la générosité seule peut faire oublier. Le peuple français était fier dans la servitude : il montrera les vertus et l'héroïsme de la liberté. Que les ennemis de la Constitution le sachent : pour asservir de nouveau le territoire de cet Empire, il faudrait anéantir la nation. Le despotisme formera, s'il le veut, une pareille entreprise: il sera vaincu; ou, à la suite de son affreux triomphe, il ne trouvera que des ruines. » (Vifs applaudissements).
M. Démeunier, rapporteur.
Si l'Assemblée adopte l'adresse qui vient de lui être lue, sauf peut-être quelques changements, il est nécessaire de la décréter, vous vous rappelez que vous avez ordonné qu'elle devait accompagner les décrets que vous avez rendus hier. (Oui! oui!)
Alors s'il n'y a pas de réclamations, je proposerai un décret conçu en ces termes :
« L'Assemblée nationale approuve la proclamation dont un membre du comité de Constitution lui a donné la lecture; décrète qu'elle sera imprimée et envoyée à tous les départements, districts et municipalités du royaume, ainsi qu'à toutes les colonies de l'Empire français. »
Plusieurs membres : Aux voix, I aux voix I
M. Bouchotte.
Tout en approuvant la rédaction de l'adresse, en admirant sa force, je demanderai à l'Assemblée une seconde lecture. 2 ou 3 légères inexactitudes motivent ma proposition : la première est dans ce qu'un dit que les droits de l'homme sont une théorie de l'esclavage... (Murmures.)
Plusieurs membres : Ce n'est pas cela ! Aux voix! aux voix!
(L'Assemblée consultée, adopte le décret proposé par M. Démeunier.)
M. Charles de Lameth.
Le péril dont nous sortons n'est plus présent à notre pensée; cependant les dangers que cette évasion entraine deviennent de moment en moment plus pressants : ainsi l'Assemblée n'a pas de temps à perttre.
Un membre: Vous venez d'ordonner l'envoi de cette adresse aux départements, aux municipalités et aux colonies. Je demande qu'il en soit fait lecture au prône et qu'elle soit même envoyée à toutes les sociétés des amis de là Constitution. (Murmures.)
______ __________
[leopard final… 28 juin, 7, 9 , 21 juillet]]
T27 28juin 91 soir
p583-584
M. Payen, rapporteur.
Messieurs, en déclarant nuls et attentatoires à l'autorité nationale les actes de la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Marc, vous vous êtes réservé de prononcer sur les personnes. Ce n'est donc point par des actes justement condamnés que vos comités ont cherché à connaître les véritables intentions des membres de cette Assemblée ; c'est dans les circonstances variées, dans les craintes multipliées et dans les événements rapides et irréparables des grandes révolutions.
La colonie de Saint-Domingue apprenait aveé admiration que sur les débris du despotisme, la France élevait l'édifice de sa liberté. Le premier de vos décrets sur les droits de l'homme et du citoyen, quoique fondé sur les principes immuables de la raison et de la justice, porta la terreur dans toutes les colonies. Cette terreur se propagea d'autant plus que le mode de leur organisation et de leur existence semblait recevoir des atteintes destructives par chacun de vos décrets constitutionnels qui dérivaient du premier; les craintes des colonies furent bientôt connues : vous vous empressâtes de les rassurer. Vous décrétâtes, le 8 mars 1790, que vous n'aviez pas enteudu comprendre les colonies dans notre Constitution.
[...]
Vous avez aussi ordonné, Messieurs, à vos comités, d'examiner l'adresse des membres de la ci-devant assemblée coloniale, tendant à ce que, prenant en considération 1a position où ils se trouvent, il leur soit accordé a titre d'indemnité ou de prêt une somme suffisante à leurs besoins pressants ; vos comités ont fait cet examen et ont pensé qu'il était juste d'accorder à chacun de ses membres, ainsi qu'à ceux du comité provincial de l'ouest de la colonie de Saint-Domingue, retenus près de nous par le même décret, la somme de 6,000 livres sur les fonds du département de la marine.
Vos comités ont aussi pensé que M. de La Galis-sonniêre, commandant le vaisseau le Léopard, ayant donné par écrit l'ordre de ramener ce vaiss au en France, et le commandant de ce vaisseau passant au sieur Santo-Domingo, celui-ci avait dû mettre cet ordre à exécutiou ; d'où il résultait que cet officier, ainsi que ceux qui lui étaient subordonnés, se sont admirablement acquittés des devoirs attachés à leurs fonctions, et qu'en conséquence les dispositions de vos décrets des 20 septembre et 12 octobre derniers, à l'égard du sieur Santo-Domingo, des officiers et autres sous ses ordres composant l'équipage, du vaisseau le Léopard,, devaient être levées.
Les 4 comités réunis proposent à l'Assemblée nationale le projet de déçret suivant :
« L'Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités des colonies, de marine, deGonstitutiou, ét d'agriculture et de commerce,
« Considérant que, en prononçant, le 1er juin dernier, la nullité des décrets à la ci-devani assemblée générale de Saint-Domingue, elle s'est réservé de prononcer sur les personnes,
« Considérant que les erreurs qui ont dicté les actes de cette assemblée, ont été produites surtout par l'éloignement et par les alarmes répandues dans les colonies sur les dispositions de l'Assemblée nationale; et prenant en considération les adresses des 18avril et 21 mai derniers; I. « Déclare qu'elle est convaincue de la pureté des intentions des membres de la ci-devant assemblée de Saint-Domingue, ainsi que de celle des membres de la ci-devant assemblée provinciale de l'Ouest ; qu'il n'y a pas lieu à inculpation contre M. Santo-Domingo;
« Décrète qu'elle lève les dispositions de ses décrets des 27 septembre et 12 octobre 1790, par lesquels les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, et ceux de l'assemblée provinciale de l'Ouest ont été mandés et retenus à la suite de l'Assemblée, ainsi que les dispositions par lesquelles le roi a été prié de renvoyer les officiers et matelots de l'équipage du vaisseau le Léopard, dans leurs quartiers respectifs ;
« Décrète qu'il sera fait à chacun des membres de la ci-devant assemblée générale, actuellement en France, une avance de 6,000 livres sur le département de la marine;
« Décrète en outre qu'il sera donné passage sur les vaisseaux qui transporteront les commissaires civils, à ceux des membres de la ci-devant assemblée générale qui le désireront. »
M. Martineau.
Il me semble que l'Assemblée nationale peut bien déclarer qu'il n'y a pas lieu à accusation contre M. Santo-Domingo et contre les membres de l'assemblée coloniale; mais je ne crois pas que l'on puisse dire dans un décret : Nous sommes convaincus de la pureté des intentions de ses membres.
Je demande qu'on retranche cette partie du décret, et même tout le préambule.
M. Garat, ainé. Un principe certain en fait d'intentions, c'est qu'il faut tenir pour bonnes celles qu'on ne peut prouver mauvaises. Quelque funestes dans leurs suites, quelque inconstitutionnels qu'aient été les décrets de la ci-devant assemblée de Saint-Marc, ils ont été précédés et accompagnés de circonstances qui prouvent évidemment que des opinions erronées plus que coupables les ont dictés. Les membres qui la composent sont venus se jeter dans le sein de l'Assemblée nationale; toutes les fois qu'ils vous ont parlé par votre bouche, vous n'avez entendu que des témoignages de respect et de fidélité. Cet organe qui vous a parlé en qualité de leur défenseur, cet organe qui n'a jamais su prononcer la vérité, ils l'ont désavoué depuis. Ces députés sont réélus pour la quatrième fois par leurs commettants; des témoignages honorables de votre part seront, propres à resserrer les liens des colonies avec la métropole.
Ou vous propose de donner à ces députés une avance pour leur voyage; ils vous offrent pour garantie un traitement de 30 livres par jour qui leur est dû depuis un an, et la colonie est créancière sur les fonds de la marine d'une somme de 5 millions.
M. de Gouy d'Arsy.
Vous devez sans doute des indemnités ou du moins des avances à des hommes que vous avez éloignés pendant un an de leurs foyers et de leurs manufactures. Je ne viens pas pour parler sur le fond de la question ; nous désirons tous la paix. Vous savez qu'un grand nombre des membres de l'assemblée générale sont désignés pour la quatrième fois, par les suffrages de leurs concitoyens, pour former l'assemblée représentative des colonies. J'observe donc que dans le choix des sentiments, vous devez considérer ceux qui ont été exprimés les derniers, et qui sont le plus analogues au désir [page 585]que vous avez de porter la paix dans les colonies.
Je propose de décréter qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre M, Santo-Domingo, ni contre les 85 membres de l'assemblée de Saint-Marc, et qu'ils sont libres de partir.
M. Prieur.
Je demande que la rédaction porte : qu'il n'y a pas lieu à inculpation contre les 85 membres et le sieur Santo-Domingo, et qu'il sera avancé, à titre de prêt à chacun des 85 membres députés, la somme de 6,000 livres, laquelle ils rendront lorsqu'ils seront dans la colonie.
M. Delavigne.
Daignez remarquer le contraste étranger entre la position dans laquelle on représente les membres de la ci-devant assemblée de Saint-Marc, et la contenance fière de ces colons qui naguères vinrent à votre barre soutenir les prétentions exagérées qu'ils apportèrent à leur arrivée en France.
Lorsque les 85 sont arrivés sur le Léopard, s'ils avaient commencé par où ils ont fini, l'affaire aurait été bientôt terminée. Libres de leurs personnes, ils auraient retourné, s'ils avaient voulu, dans leur patrie, annoncer la vérité, c'est-à-dire L'S intentions de justice de l'Assemblée nationale. Au lieu de cela, qu'ont-ils fait? Ils ont conservé l'esprit de révolte qui caractérisait, je ne dirai pas leurs personnes, je n'en parle pas, mais leurs décrets. Rappelez-vous, Messieurs, que ce n'est qu'en dernier lieu, lors des nouvelles de M. Mauduit, que M. Barnave fut aise de prendre acte, dans l'Assemblée, d'une lettre de soumission qu'il dit avoir depuis trois jours.
Ce n'est qu'à cette époque qu'ils ont quitté cette contenance fière qu'ils avaient conservée jusqu'alors. Actuellement ils vous disent : Nous avons fait des dépenses. Sans doute, ils ont fait des dépenses que leur indocilité leur a occasionnées, et qu'ils eussent évité s'ils se fussent bien comportés, s'ils eussent, dès le lendemain de leur arrivée, pris le parti auquel ils se sont enfin décidés. Il est de toute impossibilité de déclarer à leur égard qu'il n'y a pas lieu à inculpation; vous vous êtes réservé de prononcer sur leurs personnes : eh bien! prononcez sur leurs personnes dans l'état où ils se sont mis, dites que leur soumission vous met dans le cas de lever l'espèce d'arrestation prononcée par vos décrets. Voilà la seule manière de prononcer. D'après cela, je propose que l'Assemblée nationale décrète que les 85 membres sont libres de retourner où ils voudront.
Ils vous demandent aujourd'hui que vous leur donniez 500,000 livres…
M. de Gouy d'Arsy.
C'est un prêt.
M. Delavigne.
Je dis donner, car les personnes de ce pays savent bien emprunter, mais jamais rendre. (Murmures.)
M. de Gouy d'Arsy.
Je me rends caution pour eux, et j'eu demande acte.
M. Arthur Dillon.
Ne leur donnez rien, mais rendez-leur le prix des exactions que nos ministres ont exercées sur eux.
M. Delavigne.
Lorsque tant de citoyens irréprochables que la Révolution a ruinés vous tendent la main et que vous gémissez de ne pas pouvoir faire pour eux ce que votre humanité vous suggérerait ; lorsque l'Assemblée nationale reçoit un louis que lui offre un citoyen indigent dans l'ardeur de son zèle pour la défense de la patrie, vous iriez récompenser de 500,000 livres, la révolte, corrigée, il est vrai, par la rétractation, mais qui n'en est pas moins une révolte dans le principe, de 85 habitants d'une colonie? Comment traiteriez-vous donc ceux qui se sont bien conduits si vous récompensez aussi généreusement ceux qui ont tant de reproches à se faire. (Applaudissements.) N'y a-t-il pas à Paris pour des gens qui ont 80 millions de propriété mille moyens de trouver de l'argent ?
Je vous prie encore de faire cette réflexion qui, sans doute, n'a pas échappé à votre perspicacité : on veut que vous récompensiez les 85 colons et l'on ne vous demande que pour M. Sauta-Domingo qui a tout perdu, que de le déclarer irréprochable. Cependant il n'en est pas moins ruiné.
M. Gaultier-Biauzat.
Il a même formé une demande au comité.
M. Delavigne.
Je conclus à ce qu'il soit décrété que les 85 membres venus sur le Léopard et retenus à la suite de l'Assemblée nationale soient libres de leurs personnes ; qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre le sieur Santo-Domingo et qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le surplus des dispositions proposées par le comité.
M. Prieur.
Je me résume à cet avis-là.
Un membre : 11 n'est personne dans cette Assemblée qui ne connaisse les services importants de M. Santo-Domingo. Je demande donc que le décret porte qui l'Assemblée nationale est entiè-ment satisfaite de la conduite du sieur Santo-Domingo et des officiers de son équipage.
Un membre : Je propose, de plus, une indemnité en faveur du sieur Santo-Domingo et le renvoi de cette question à l'examen des comités.
M. de Curt.
Les colons, ci-devant membres de l'assemblée coloniale de Saint-Domingue, sont arrivés eu France avec des préventions cruelles contre eux; ils ont été appelés à la barre de l'Assemblée nationale; vous avez dissout leur assemblée et cette nouvelle a parcouru l'Europe, j'ose dire les quatre parties du monde ; iis se trouvent donc sous le joug d'une inculpation. Les colons sont gens d'honneur; ils peuvent, par l'erreur d'un moment ou dans un instant d'humeur, avoir manifesté des sentiments que leurs cœurs rougiraient d'avouer; mais ils sont bons citoyens et ils ont donné dans cent occasions les preuves les plus éclatantes de leur amour pour les Français; je les ai vus. leurs côtes étant menacées par l'ennemi, quitter femmes, enfants, famille, faire la guerre à leurs dépens, et s'imposer tous les sacrifices possibles pour repousser les ennemis de la patrie; si vous ne renvoyez pas dans leur colonie les membres de la ci-devant assemblée générale avec un témoignage de confiance, avec le sentiment parfait de leur innocence, vous les rendrez malheureux.
Dans un moment où vous voulez resserrer tous les liens de I Empire, il est juste, il est politique de croire en leur patriotisme. Ils vous demandent des avances. Je ne vous rappellerai pas les [page 586]sacrifices qu'ils ont faits à la patrie ; je ne vous dirai pas que, dans ia dernière guerre, la Guadeloupe étant sans troupes, les colons firent le sacrifice de leur fortune, et résolurent de périr, jusqu'au dernier, plutôt que de se rendre aux ennemis de la France. Si l'histoire ne rapporte pas ce fait, il n'est aucun marin qui ne le sache. Croyez que ces mêmes colons sont encore dignes de votre estime et de votre approbation.
Je vous prie en grâce de ne pas repousser le décret qui vous est proposé par vos quatre comités.
(L'Assemblée ferme la discussion et accorde la priorité au projet de décret de M. Delavigne sur celui des comités.)
Un membre propose par amendement d'insérer dans le décret le préambule suivant :
« L'Assemblée nationale, ayant égard aux explications et rétractations contenues dans les adresses des 85 membres de la ci-devant assemblée coloniale, déclare qu'il n'y a pas lieu à inculpation, etc... »
Un membre propose de délibérer sur les principales dispositions du projet de décret de M. Delavigne et de les renvoyer aux comités pour présenter une nouvelle rédaction.
(Cette dernière motion est adoptée.)
En conséquence, l'Assemblée consultée décrète:
1° Qu'il sera fait mention dans le nouveau projet de la rétractation des 85 membres de la ci-devant assemblée ;
2° Qu'il n'y a pas lieu à inculpation contre ces membres ;
3° Qu'ils seront libres de retourner dans leur patrie.
L'Assemblée décrète en outre qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le surplus des dispositions.
(M. le Président lève la séance à onze heures.)
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A Saint-Domingue
[lettre de Blanchelande le 3 juillet 1791, après la réception de la nouvelle des décrets des 13 et 15 mai.
https://archive.org/details/mmoire3527blan/page/128/mode/2up
blanchelande a fleurieu le 3 juillet91 apres avoir pris connaissance du 15 mai le 30 juin.
(attention, l’assemblée ne peut la recevoir qu’approximativement un mois et demie après, les débats qui suivent n’en ont pas connaissance.
( (dans l’absolu [Lameth évoque une correspondance en juillet], les correspondances les plus rapides en comptant un mois seraient 16 mai 16 juin, cheminement et écriture, 17 juin 27 juillet (mais peut etre plus rapide)
_____________________________
-T28 7 juillet91 matin (president Charles Lameth)
p
(digression juin 91 ...)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49543m/f19
p15
M. Payen, au nom du comité des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce. Messieurs, vous avez adopté, dans la séance du mardi 28 juin dernier, différentes dispositions qui vous ont été proposées par M. Delavigne relativement aux affaires de Saint-Domingue, et vous avez renvoyé à vos comités pour la rédaction.
Voici. le projet de décret que nous vous présentons :
« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de ses comités des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce, prenant en considération les explications et rétractations des membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, contenues dans leurs adresses des 19 avril et 22 mai derniers,
« Déclare qu'il n'y a lieu à inculpation contre les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, ceux du comité provincial de l'ouest de ladite colonie, et le sieur Santo-Domingo, commandant le vaisseau le Léopard.
« En conséquence* décrète qu'elle lève les dispositions de ses décrets des 20 septembre et 12 octobre 1790, par lesquelles les membres de là ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, ceux du comité provincial de l'Ouest, et le sieur Santo-Domingo, ont été mandés et retenus à la suite de l'Assemblée nationale, ainsi que les dispositions par lesquelles le roi a renvoyé l'équipage du vaisseau le Léopard dans ses quartiers respectifs, et enjoint aux officiers de rester dans leurs départements. »
(Ce décret est adopté.)
(Payen (Jean Payen de Boisneuf) né à SD, élu TE Touraine. ("Américain très riche").
mort aux USA
T28 9 juillet 91 (pres CH. Lamteh
p53-54
M. Bouche.
Le décret rendu dans la séance d'avant-hier relativement à la demande des membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue n'est pas complet. Il ne prononce pas sur tous les objets qui sont renfermés dans cette demande et que l'Assemblée a rejetés. note [page 54] Je propose donc d'ajouter à la fin de ce décret les mots suivants :
« Et sur le surplus, l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer. » (Cette addition est adoptée).. Le projet de décret modifié se trouve en conséquence conçu dans les termes suivants :
« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de. ses comités des colonies, de marine, de Constitution, d'agriculture et de commerce, prenant en considération les explications et rétractations des membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, contenues dans leurs adresses des 19 avril et 22 mai derniers,
« Déclare qu'il n'y a lieu à inculpation contre les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, ceux du comité provincial de l'ouest de ladite colonie, et le sieur Santo-Domingo, commandant le vaisseau le Léopard.
« En conséquence, décrète qu'elle lève les dispositions de ses décrets des 20 septembre et 12 octobre 1790, par lesquelles les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, ceux du comité provincial de l'ouest, et le sieur Santo-Domingo ont été mandés et retenus à la suite de l'Assemblée nationale, ainsi que les dispositions par lesquelles le roi a renvoyé l'équipage du vaisseau le Léopard dans ses quartiers respectifs, et enjoint aux officiers de rester dans leurs départements ; et sur le surplus, l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer; »
21 juillet, roi sanctionne p486
Décret du 7 dudit, qui, entre autres dispositions, déclare qu'il n'y a lieu à inculpation contre les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, ceux du comité provincial de l'ouest de ladite colonie, et le sieur Santo-Domingo commandant le Léopard.
___________
Suite
Partie 8 et fin. Septembre 1791