Colonies sous la Révolution
Constituante, partie 6. Mars - mai 1791.
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Pétition nouvelle des citoyens de couleur ; 18 mars 1791.
Avertissement sur la pétition suivante, pp III - XII
https://archive.org/details/ptitionnouvell00fran/page/n7/mode/2up
Evoquant le contexte de l'intervention de Dillon du 4 mars.
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ASSEMBLÉE NATIONALE.
PRÉSIDENCE DE M. DE NOAILLES.
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/23/2/42/
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495381/f669
Séance du vendredi 4 mars 1791.
T23 p665
M. Arthur Dillon.
Monsieur le Président, je demande la parole sur un objet particulier.
M. le Président.
Vous avez la parole.
M.Arthur Dillon.
Je prie l'Assemblée de considérer l'observation que je vais lui faire, moins sous l'aspect philanthropique qu'elle présente, que sous le tort qu'elle peut causer à la France, et de considérer que je crois parler à des législateurs sur qui repose le bonheur de l'Empire, et non devant une société de philanthropes qui a cherché à égarer l'Assemblée, en l'engageant à admettre demain au soir à la barre une députation de soi-disant gens de couleur.
Vous n'ignorez pas l'état d'effervescence où sont les Colonies, rappelez-vous que vous venez de dépenser 20 millions pour y envoyer des armées. Eh bien ! quand vous en dépenseriez 500, quand vous enverriez toutes vos forces navales, si vous admettiez les gens de couleur à la barre, je vous le dis en frémissant, vous ne pourriez plus compter sur vos colonies. Ce n'est pas sans une profonde douleur que je me vois obligé de vous annoncer cette vérité ; mais, Messieurs, votre décret montera l'effervescence au dernier point. Je déclare que, dans mon opinion, dans celle de nos concitoyens, nous sommes dans l'intention d'adoucir le sort de cette espèce d'hommes. (Murmures prolongés.)
Les colonies n'ont accepté vos décrets qu'en stipulant que l'Assemblée nationale ne se mêlerait jamais du sort des gens de couleur : votre comité colonial vous a fait décréter, le 12 octobre dernier, que l'intention de l'Assemblée nationale était de ne jamais se mêler du sort de ces gens-là, sauf la demande préliminaire des colonies.
Actuellement, Messieurs, qu'est-ce qu'on vous propose ? De prétendus philanthropes, dans l'ombre des ténèbres, vous suggèrent des mesures qui réduiraient cette superbe monarchie à devenir un pays désert, si leurs folies pouvaient y être admises.
Un membre: Qu'est-ce que c'est donc que ça?
M. Arthur Dillon.
Oui, Messieurs, ils ont attaqué vos décrets et vos comités dans des libelles incendiaires; ils ont attaqué personnellement les membres qui les composent; et cela parce qu'ils ont été législateurs, hommes d'Etat. Ces gens qui se présentent aujourd'hui ne sont pas envoyés par les colonies; leur réclamation n'a point été présentée au comité colonial ; ce sont des gens sans aveu, dans un état de domesticité ici à Paris, et qui peut être sont vendus à cette prétendue société de philanthropes...
Plusieurs membres : A l'ordre! A l'ordre !
M. le Président.
Vous ne devez rien avancer à cette tribune que vous n'en ayez des preuves.
M. Arthur Dillon.
Je conclurai en priant l'Assemblée, pour rétablir la paix et l'ordre dans les colonies, pour empêcher que des torrents de sang ne coulent, de vouloir bien suspendre cette admission et ordonner que si les gens de.couleur ont des réclamations à faire, ils les remettent au comité colonial, et qu'ils ne soient point admis; car je le dis avec amertume, mais avec vérité,'un quart d'heure après qu'il sera connu dans les colonies
[page 666]
que vous avez admis à la barre une députation de noirs, soyez certains que toutes les colonies seront en insurrection.
M. Pétion de Villeneuve paraît à la tribune.
Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix !
M. Pétion de Villeneuve insiste pour avoir la parole.
M. l'abbé Maury.
Je demande la permission de faire une motion que je n'ai jamais faite dans l'Assemblée, c'est que la discussion soit fermée. {Applaudissements-)
Plusieurs membres ; Aux voix ! aux voix !
M. Pétion de Villeneuve.
Je demande la parole pour repousser une calomnie.
M. de Custine.
Je demande que M. Pétion soit rappelé à l'ordre, il veut faire la loi à l'Assemblée.
M. de Mirabeau paraît à la tribune, à côté de M. Pétion.
M. Buzot.
Il y a un décret qui accorde l'admission; j'en demande l'exécution, et que l’on passe à l'ordre du jour.
M. Le Chapelier.
Il y a un décret rendu pour admettre cette députation à la barre. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour.
M. le Président.
Messieurs, hier, à midi passé, il est arrivé une. lettre adressée au Président, par laquelle des gens de couleur demandaient l'admission à, la barre pour présenter une pétition. L'Assemblée a décrété que son Président examinerait leurs pouvoirs et lui en rendrait compte. Voilà la position où est l'Assemblée dans ce moment-ci. Je me ferai toujours un devoir d'être de la plus grande exactitude.
Cette députation a envoyé chez votre Président une pétition revêtue d^un grand nombre de signatures. Je ne sais pas s'il y .a un homme qui puisse juger dé la validité de signatures envoyées de 1,500 lieues : certainement, si cet homme existe, ce n'est pas votre Président. Je demande donc en vous présentant la question telle qu'elle est, que vous me mettiez à portée de suivre,non pas mon vœu particulier, mais les ordres de l'Assemblée. Si quelqu'un demande la parole sur la manière dont je pose la question, je demande à l'Assemblée la permission de la lui accorder.
M. Cigongue.
Je demande le renvoi delà pétition des gens de couleur au comité colonial,
Plusieurs membres : Aux voix I aux voix !
(L'Assemblée décrète ce renvoi.)
MM. Pétion de Villeneuve et de Mirabeau insistent à la tribune pour obtenir la parole.
Plusieurs membres : L'ordre du jour !
M. Pétion de Villeneuve.
Je demande la parole sur une motion particulière. (Murmures.)
L'Assemblée ne peut pas... (Bruit.)
Plusieurs membres demandent que la séance soit levée.
M. Briois-Beaumetz.
Monsieur le Président, veuillez bien mettre aux voix si la séance sera levée ou non ; il est deux heures et demie.
M. le Président.
Vous ne. connaissez pas la réclamation de M. Pétion . Comment est-il possible. Messieurs, que vous obligiez votre président à lever la séance, quand on demande la parole pour détruire une calomnie!
Plusieurs membres : Nous insistons.
M. le Président.
La motion de lever la séance est appuyée; je la mets aux voix.
(L'Assemblée décrète que la séance est levée.)
La séance est levée à deux heures et demie.
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Séance du samedi 5 mars 1791, au matin.
PRÉSIDENCE DE M. DE NOAILLES.
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/23/2/43/
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495381/f685
p681-2
M. de Sillery, secrétaire.
Voici maintenant, Messieurs, une plainte de la Société des amis des Noirs contre M. Arthur Dillon. (Murmures prolongés.)
Plusieurs membres demandent que la séance soit levée.
M. Rœderer.
Quand on a été inculpé dans l'Assemblée, il faut pouvoir se défendre dans l'Assemblée.
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély).
Quand on a entendu la calomnie, il faut entendre ceux qui veulent y répondre.
(L'Assemblée ordonne la lecture de la lettre.)
M. de Sillery, secrétaire, lisant :
« Messieurs,
« Les amis d'une classe d'hommes opprimés et malheureux s'adressent avec confiance aux représentants d'une nation libre, et leur demandent justice.
« Voués à la défense de ces êtres infortunés, occupés sans relâche d'adoucir leur sort, ils poursuivent avec courage leur sainte entreprise.
« Il n'est aucun de leurs écrits, aucune de leurs démarches, aucune de leurs actions, dont l'homme le plus pur ne puisse s'honorer.
« Depuis longtemps, l'intérêt personnel, les passions les plus viles, le délire de la cupidité s'attachent à eux avec une rage insensée. Il n'est pas de calomnie absurde dont on ne cherche à les noircir; il n'est point de manœuvre qu'on n'emploie pour les perdre dans l'opinion publique. Ces atrocités, ils les ont dédaignées; ces libelles, ils les ont méprisés. Forts de leur conscience, ils s'en sont reposé; sur le temps et sur leurs oeuvres pour les justifier, Mais aujourd'hui qu'un membre, au milieu de l'Assemblée nationale, s'est permis de les outrager de la manière la plus sanglante; de dire que c'était à ces amis de l'humanité qu'il fallait imputer les troubles qui agitent nos colonies; de dire que ces amis étaient vendus à des puissances étrangères, il ne leur est plus possible de garder le silence, et chacun d'eux a le droit d'exiger une réparation authentique de ces infâmes calomnies.
« Deux partis se présentent : ou l'Assemblée doit improuver le membre qui a osé hasarder des inculpations aussi coupables, ou elle doit permettre aux offensés de le poursuivre en justice. C'est là que nous lui porterons le défi formel d'alléguer, nous ne disons pas de preuves, mais même les plus légers indices des faits odieux dont il nous accuse. C'est là que l'innocence sera vengée.
« La Société des amis des Noirs demande donc que l'Assemblée, dans sa justice, censure M. Dillon, ou que, le dépouillant de son inviolabilité, elle permette de le.poursuivre devant les tribunaux , pour obtenir une rétractation.éclatante, (Murmures et applaudissements.)
« Nous sommes, avec un profond respect, Messieurs,
« Les membres de la Société des amis des Noirs,
« Signé ; Clavière, président par intérim;
: « J.-P Brissot; secrétaire.
; « 5 mars 1791, »
M. Moreau de Saint-Méry.
M. Arthur Dillon, mon collègue dans la députation de la Martinique,, se trouve absent de l’Assemblée; mais il m'est très facile de le suppléer.
Je tiens à la main deux exemplaires d'un imprimé qu'il a fait faire hier et qui doit vous être distribué; il a.pour titre : Motifs de la motion faite à l'Assemblée nationale le 4 mars 1791, par M. Arthur Dillon, député de la Martinique.
Je demande la permission de le lire pour sa défense.
Plusieurs membres : Lisez ! lisez !
M. Moreau de Saint-Méry
Voici ce document :
« Plusieurs personnes, dont je respecte le suffrage, m’ont paru désapprouver, dans la motion que j'ai faite aujourd'hui à l'Assemblée nationale, la phrase où j'ai tracé le danger du progrès des opinions de la société connue sous le nom d'amis des Noirs. On semble croire que j'ai cherché à inculper la société entière, et à lui prêter des intentions coupables. Je déclare formellement que je n'en ai jamais eu la pensée ; que je respecte et estime la plus grande partie des membres de cette société. Je dirai, avec la même franchise, que je gémis de leur erreur : que je vois, avec autant d'effroi que de douleur, qu'ils creusent aux colonies et à la nation entière un abîme qui engloutira les uns et causera la ruine des autres.
« N'est-il pas évident que la première et la principale cause des malheurs des colonies a été provoquée par la publication des écrits des amis des Noirs, qui, sans aucune connaissance des lieux, veulent détruire des liens politiques que le temps et un long calme pourraient seuls affaiblir ? Si on y parvient jamais, ce ne sera que par la persuasion, et non en encourageant .des écrits injurieux et coupables.
« Je maintiendrai toujours cette vérité fâcheuse, mais incontestable, qu'il a été de mon devoir de présenter à l’Assemblée nationale ; .c'est que si, dans les circonstances présentes, et après les décrets des 8 mars et 12 octobre 1790, elle eût admis à la barre une députation d'hommes de couleur, le jour même où la nouvelle en serait arrivée aux colonies aurait été celui de l'insurrection générale contre la mère-pairie, que des flots de sang et l'épuisement du Trésor publia n'eussent pu éteindre.
« Je le demande aux citoyens qui veulent sincèrement le bien : lorsque, enflammés de l'amour de la patrie, et voulant faire connaître à ses législateurs tout le danger d'une démarche imprudente dont j'étais profondément pénétré, j'aurais pu, contre mon intention, généraliser un reproche contre une société.qui a causé les plus grands malheurs, quel est celui qui ne m'a pas déjà justifié dans son cœur ? Et l'Assemblée nationale doit-elle voir avec indifférence des journalistes, vraisemblablement stipendiés, attaquer, avec impunité, ses propres décrets, et même oser inculper ceux de ses membres qui, après un travail pénible, ont su lui présenter en vrais hommes d'État, et en véritablement bons citoyens, les seules mesures qu'elle eût à adopter pour conserver à l'empire ses plus belles et plus précieuses possessions, et qui, par son ordre, sont occupés, dans ce moment même, à lui présenter le travail définitif qui doit.à jamais consolider l'union des colonies à, la mère-patrie ?
« Paris, le 4 mars 1791. »
« Signé : A. DiLLON, »
M. Moreau de Saint-Méry.
Après cette lecture, Messieurs, je me bornerai à demander que l'Assemblée veuille bien passer à l'ordre du jour.
Plusieurs membres ; Ouil oui!
M. de Mirabeau.
Je demande la parole.
Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix l
MM, l'abbé Grégoire et Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély) demandent la parole,
Plusieurs membres : L'ordre du jour !
(...)
(L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour)
M. le Président lève la séance à trois heures et demie.
__
/ deuxieme partie de l'ouvrage de Raimond lié précédemment : la pétition.
https://archive.org/details/ptitionnouvell00fran/page/1/mode/2up
La pétition du 18 mars.
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[leopard]
25fev91 T23 p506
M. le Président fait lecture d'une lettre que lui ont adressée les commissaires des députés composant l'assemblée générale de Saint-Domingue, lors de leur embarquement sur le vaisseau le Léopard, par laquelle ils demandent une audience à une heure de l'après-midi à la séance de demain.
M. Bégouen.
J'observerai qu'il est intéressant de différer d'entendre les commissaires de Saint-Domingue, jusqu'à ce que l'Assemblée ait décrété les instructions sur l'organisation des colonies.
Je propose, en conséquence, l'ajournement de l'audience demandée, après que l'Assemblée aura entendu son comité colonial, qui doit lui soumettre incessamment le projet d'instruction sur l'organisation des colonies.
(Cet ajournement est décrété).
[leopard]
t24
30 mars lettre
p463-464
[leopard]
T24 31 mars 91 soir p486
Les membres composant la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Marc sont admis à la barre.
Linguet orateur
[leopard]
t24 – 5 avril 1791
p578
M. le Président.
Messieurs, je viens de recevoir une lettre des députés extraordinaires de la province du nord de Saint-Domingue; ils demandent que cette lettre soit lue dans ce moment-ci, parce qu'ils y combattent les inculpations portées contre eux par le défenseur des membres de la ci-devant assemblée coloniale de la partie française de Saint-Domingue, que vous avez entendu dans la séance du 31 mars dernier à la barre. (Marques d'assentiment.)
Un de MM. les secrétaires donne lecture de cette lettre, qui est ainsi conçue :
« Paris, 5 avril 1791.
p580-591
Les membres de la ci-devant assemblée coloniale de la partie française de Saint-Domingue sont introduits a la barre
Linguet, orateur de la députation
592-595
Barnave
discussions. p596 decrets « 1° Que les comités de Constitution, de marine et d'agriculture et de commerce seront adjoints au comité colonial pour examiner les instructions sur l'organisation des colonies, dont la rédaction a été ordonnée par le décret du 29 novembre dernier.
« 2° Que les mêmes comités seront pareillement adjoints au comité colonial pour examiner les moyens de justification présentés parles pétitionnaires, membres de la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Domingue, relativement à leurs intentions, et au jugement de leurs personnes, réservé par le décret du 12 octobre dernier, et pour proposer à l'Assemblée nationale leurs vues sur cet objet; à l'effet de quoi l'Assemblée leur renvoie la pétition prononcée à la barre par les-
[page 597]
dits citoyens de Saint-Domingue, ainsi que l'écrit qui loi a été dénoncé à la séance du 31 mars dernier.
« 3° Que les mêmes comités prendront connaissance de la lettre de M. de Gouy, ainsi que de celle écrite à son sujet par l'assemblée de la Guadeloupe, et qu'ils en rendront compte à l'Assemblée nationale. »
________ __
/Mauduit
ASSEMBLÉE NATIONALE.
présidence de m. rewbell.
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/25/2/18/
Séance du lundi 25 avril 1791.
T25 p335
M. le Président.
Je viens de recevoir la lettre suivante de M. le ministre de la marine,
« Monsieur le Président,
« J'ai l'honneur de vous adresser un paquet de Saint-Domingue, à l'adresse de l'Assemblée nationale, qui m'a été remis par le commandant d'une corvette, que M- de Village, commandant la station des îles sous le Vent, a expédiée pour rendre compte des événements qui ont eu lieu à l'arrivée dans la colonie, des forces de terre et de mer, parties de Lorient le 3 février dernier- J'y joins, Monsieur le Président, la copie des lettres qui m'ont été écrites par ce chef de division, et par M, de Gouryoyer, lieutenant-colonel du régiment du Port-au-Prince, dont il a pris le commandement après la mort de M. Maudhuit, son colonel.
« Je suis avec respect, etc.
« Signé : de FLEURlEU.
Plusieurs membres demandent la lecture des lettres jointes 4 la lettre de M, Fleurieu.
l’Assemblée ordonne la lecture.
(...) assassinat de Mauduit (...) lettres pp335-339
p340
M. Barnave.
Je ne ferai aucune réflexion sur les nouvelles que l'Assemblée vient d'entendre; mais je crois qu'il est de la justice et de la loyauté de lui donner connaissance à l'instant même d'une pièce qui, depuis deux jours, est déposée dans mes mains. Les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, dégagés des suggestions qui les avaient égarés, m'ont remis une adresse, par laquelle ils reconnaissent leurs erreurs, jurent obéissance aux décrets, et rétractent les écrits où ces décrets ont pu être attaqués.
Si cette pièce eût été connue plus tard, on aurait pu croire qu'elle était l'effet de l'impression des nouvelles qu'on vient de lire; il est de mon devoir d'en fixer l'époque, afin que le mouvement libre et pur, dont elle est l'effet, ne puisse pas être mis en doute. Je vais vous donner lecture de l'adresse :(...)
______ _
21 avril, Payen au nom du ministere marine colonies, Martinique
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/25/2/13/ (21 avril91)
28avril 1791 lettre
M. Goupil-Préfein, secrétaire, Voici une lettre adressée par les citoyens de couleur à M. le Président de l'Assemblée.
« Monsieur le Président,
« Les citoyens de couleur se sont soumis au dernier décret de l'Assemblée nationale pour remettre leurs pouvoirs au comité des colonies. Ils y ont déposé les pièces qui tendent à prouver que les hommes de couleur libres, propriétaires et contribuables, doivent jouir de tous les droits de citoyens actifs. Ils espèrent que l'Assemblée nationale voudra bien le déclarer positivement. Si le comité des colonies ne le proposait pas, ils demandent à être entendus à la barre. »
« Nous sommes, etc... »
A cette lettre est joint un mémoire imprimé, très considérable, pour les hommes de couleur.
(L'Assemblée renvoie cette lettre et ce mémoire au comité colonial.)
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7 mai 1791 rapport delattre
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1886_num_25_1_10780_t1_0636_0000_4
Delattre (l'ainé)
Cependant le décret du 12 octobre dernier est venu détruire encore une fois l'effet de l'imposture et de la malignité; il a ramené la confiance, et c'est par l'Assemblée nationale que les colonies veulent que leur constitution soit définitivement décrétée. Et comment pourraient-elles, en effet, redouter vos décisions prochaines, lorsque vous avez annoncé la ferme volonté d'établir, comme article constitutionnel, qu'aucunes lois sur l'état des personnes ne seront décrétées, pour les colonies, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales.
Mais il est temps, Messieurs, d accomplir cette promesse importante : vous le devez, pour ruiner les coupables espérances de vos ennemis, pour ramener le calme dans les contrées que les agitations politiques ébranlent et bouleversent, dans les contrées qui ne peuvent prospérer que sous la seule .influence de l'activité féconde du commerce.
C'est en vain que l'on vous dirait, Messieurs, que ce que vous avez décrété dans le préambule du décr-1 du 12 octobre dernier doit suffire. Sans doute cela devrait suffire, mais cela ne suffit pas.
(révoltant, ils se couchent de plus en plus bas)
voir événement Mauduit parce qu'il l'évoque (rapport le 25 avril 1791)
que les colons (blancs) de toutes les colonies se mettent d'accord sur le statut des libres de couleur...
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1886_num_25_1_10781_t1_0638_0000_6
Gregoire intervient contre, demande impression pour avoir le temps de le critiquer
Moreau et Petion veulent parler en même temps.
M. Pétion de Villeneuve.
Laissez parler M. Moreau ; peut-être nous expliquera-t-il les motifs du projet horrible qu'on ose vous présenter. On répondra.
(évoque à tort l'esclavage car il y a deux sujets : l'esclavage (sur lequel malheureusement ils voteront le fait de ne pas avoir le droit de légiférer, et qui n'est pas le sujet de grandes dissensions), et la situation politique des libres de couleur (qui est l'escroquerie que veut faire voter le comité en faisant décider les colons blancs sur cette question ...).
!
M. Rœderer.
L'ajournement est d'autant plus nécessaire que, si le premier article qui vous est proposé passait, la conséquence inévitable serait que les députés des colonies, ici présents, se retirassent ; car il serait absurde qu'ayant réservé aux colonies, dont ils sont les représentants, l'initiative exclusive des lois qui les concernent, ils prissent encore part à la confection des nôtres, Je demande donc l'ajournement du tout,
(;;;)
(L'Assemblée, consultée, décrète l'ajournement et décide que la discussion ne sera reprise que deux jours après la distribution du rapport et du projet de décret des comités.)
//suite le 11 mai
– -
PV Commerce T2
9 mai 91 p236
https://archive.org/details/procsverbauxde02gerbuoft/page/236/mode/2up
Un des membres a demandé que le Comité ait à délibérer s'il adoptait ou non le rapport sur les colonies fait par M. de Lattre à la séance de l'Assemblée nationale du 7 du présent mois et le projet de décret qui est à la suite imprimé par ordre de l'Assemblée.
Le Comité a déclaré qu'il adoptait le rapport et le projet de décret.
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11 mai. Opuscule de Roume sur le débat en cours.
(se situant chronologiquement ici. Je le réaborderai lors de la question de Roume en tant que commissaire à Saint-Domingue.
http://www.manioc.org/patrimon/PAP11151
Sur la question des gens de couleur : le 11 mai 1791
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11 mai 1791
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/25/2/39/
fin T 25
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49540k/f741
greg 737
La cause des troubles a d'abord été développée par cette lettre incendiaire des députés des colonies, écrite le 12 août 1789, dans laquelle ils insultaient à notre enthousiasme pour la liberté, où ils semaient des alarmes, où ils effarouchaient les imaginations sur des vaisseaux anglais qui sont toujours eu station dans les parages, sur des émissaires et des milliers de fusils qu ils accusaient les amis des noirs d'envoyer, tandis que ces émissaires et ces fusils étaient d'horribles suppositions.
//sur le décret du 8 mars
On disait aux mulâtres : « Vous êtes compris sous la dénomination de toutes personnes », et je me rappelle très bien que dans cette tribune, quand j'insistais pour que les gens de couleur fussent désignés nominativement dans l'article 4, M. Barnave que j'interpelle lui-même, et M. Charles de Lameth, et une foule d'autres s'empressèrent de crier qu'ils y étaient compris, qu'il désignait tous ceux qui étaient propriétaires.
M. Payen.
Ils n'étaient pas exceptés.
M. l'abbé Grégoire.
C'est que le terme, étant universel, enveloppait toute espèce de propriétaires qui se trouvaient dans les colonies, et par là même les gens de couleur y étaient compris. On disait donc aux gens de couleur : « Vous êtes compris dans ces mots toutes personnes », et on disait aux blancs : « L'Assemblée nationale ne désigne pas les gens de couleur, vous pourrez argumenter de ce silence. — L'Assemblée nationale est maîtresse de ne pas parler ; mais si elle parle, elle tiendra le langage franc et loyal qui lui convient. »
/// 748
M. Barnave.
Je dis que la question est de savoir si l'Assemblée nationale décrétera : 1» si l'initiative serait accordée aux assemblées coloniales, pour la formation des lois qui doivent régir les colonies; 2° si elles useront de ce droit, dans la question de savoir quels seront les droits politiques des colons et nègres libres et propriétaires, sauf, après le vœu qu'elles émettront à cet égard, à être statué souverainement par l'Assemblée nationale ;3°si elles émettront ce vœu dans la forme que nous avons proposée, c'est-à-dire, par un seul comité de 29 personnes, composé de commissaires des différentes assemblées coloniales. Voilà ce que les comités ont proposé à l'Assemblée.
Plusieurs membres : Ce n'est pas ainsi qu'il faut poser la question.
M. Barnave.
Voilà les trois seules questions qui résultent du projet de décret proposé à l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)
Gouy d'Arcy parle beauuuuuucoup. (pour la deuxième fois)
:::
M. de Tracy.
Actuellement, il ne peut plus y avoir d'incertitude; il est clair que vous ne parlez que des hommes libres de couleur, propriétaires et contribuables, et point des esclaves; ceux-ci, tant qu'ils sont esclaves, ne sont pas des hommes.
Votre comité vous propose d'adopter son projet comme une conséquence des décrets que vous avez rendus. C'est pour le même motif que je demande la question préalable sur le projet du comité. On vous a dit que tout était perdu, si les gens de couleur avaient d'autres protecteurs que les colons. Je dis que tout est perdu, s'ils ont d'autres protecteurs que la loi. (.Applaudissements.)
J'examine d'abord les instructions décrétées le 28 mars, et j'y lis ces mots : « Toutes les personnes âgées de 25 ans auront le droit, etc... » Cet article ne fait donc aucune distinction entre les colons blancs et les colons de couleur; et lor sque quelques membres s'élevèrent, pendant la lecture de ces instructions pour dire que cela comprenait sans doute les blancs et les mulâtres, ceux qui soutiennent le projet actuel du comité répondirent alors que c'était bien entendu.
Je viens au décret du 12 octobre où se trouve le considérant obscur dont on argumente. Je pourrais dire qu'un considérant est l'exorde d'une loi et non pas la loi; mais encore, que porte-t-il? Qu'aucune loi sur l'état des personnes ne sera décrétée pour les colonies sans leur initiative. Grâce à l’ambiguïté de la rédaction du fameux préambule du décret du 12 octobre, ce mot état des personnes a reçu d'étranges interprétations. Je soutiens, moi, que vous n'avez voulu désigner par ces mots l'état des personnes que l'état des esclaves. (Applaudissements.)
Vous n'avez jamais dans cette Assemblée, voulu prononcer le mot esclave. Vous avez senti que ne pouviez pas détruire l'esclavage. Vous avez répugné à le consacrer, et pour désigner les esclaves, vous avez dit l'état des personnes. (Applaudissements,)
Un membre : C'est juste.
M. de Tracy.
Je dis que le décret du 12 octobre ne prouve rien; que le considérant n'est qu'un considérant, et qu'encore ne dit-il pas ce qu'on veut lui faire dire; mais ie veux bien encore renoncer pour un moment à la force de ces moyens, et j'en viens au fond de la question, où je trouve la preuve que M. Barnave l'a mal posée.
Messieurs, puisque vous voulez une initiative des colonies, comment sera-t-elle donnée? (Applaudissements.) Elle sera donnée] suivant le projet qui, je l'espère, sera englouti par la question préalable, elle sera donnée par une assemblée de notables des colonies. Sera-t-elle semblable à celle de 1788, en France?
Un membre : Oui !
M. de Tracy.
Dans ce cas, Monsieur, au mois de décembre il faudra faire le contraire de ce qu'elle aura dit. (.Applaudissements.)
(! reference assemblée des notables de 1788 contre le doublement du tiers).
Petion
Les colons blancs ne doivent la conservation de leurs esclaves qu'à la surveillance active des hommes libres de couleur ; les colons blancs ne peuvent nier que ces hommes ne soient les véritables troupes de nos îles...
M. Pétion de Villeneuve.
Ces malheurs viennent de la conduite de ces députés qui s'opposaient, le 18 janvier, lorsque les plus grands désordres régnaient dans les colonies, à ce que le ministre y envoyât des troupes. Ils tiennent à la conduite de l'assemblée coloniale du Nord, à la conduite de l'assemblée générale, aux divisions perpétuelles qui existaient entre ces deux assemblées.
Petion contre l'article du 13 (et il a bien raison).
dit que art4 du 28 mars 90 inclus les libres de couleur.
Barnave, assurer aux colons que jamais abolition de l'esclavage.
(::)
barnave s'explique (enfin) à propos de mars 1790
Barnave
Je passe immédiatement à la seconde question, à celle qui est relative au droit de citoyen actif, réclamé par les hommes de couleur et nègres libres. Voici quelle était la situation des choses, lorsque l'Assemblée nationale a rendu les décrets des 8, 28 mars et 12 octobre : il serait inutile de chercher une résolution sur cette question dans les lois intérieures.
1° Parce qu'aucune loi n'a établi avant notre Constitution les droits politiques, mais bien plus encore parce qu'aucune loi ne détermina clairement l'existence des gens de couleur dans les colonies. Parmi les lois positives rendues avant notre Constitution, une multitude de textes se contrarient, dans les mêmes ordonnances, un article leur est favorable, un autre l'anéantit. Si l'on comptait les dispositions qui leur sont relatives, on les trouverait presque toutes privatives de ces droits, non pas seulement politiques, mais d'une partie de ces droits civils qui leur étaient assurés par un des articles qu'on vous a cités ici ; quant aux droits politiques, ils n'en ont jamais joui... Je ne parle pas ici théorie, je rapporte des faits. Ils jouissaient des droits civils, et non des droits politiques : ils n'exerçaient aucune espèce de fonction : voilà l'état où nous avons trouvé les choses, au moment où nous avons rendu le décret du 8 mars.
Par ce décret, l'Assemblée nationale a chargé les assemblées coloniales de lui présenter des plans sur leur constitution, leur législation et sur leur administration pour, après l'émission de leur vœu, être statué par l'Assemblée nationale. Vous avez dit, en même temps, que dans les colonies où il existait des assemblées coloniales librement élues, ces assemblées seraient admises à émettre leur vœu. Elle a dit ensuite que dans les colonies où il n'existait pas d'assemblées de cette nature, ou bien si elles n'étaient pas reconnues par les citoyens, il en serait formé pour émettre le vœu des colonies, et que cette [page 757] formation provisoire aurait lieu conformément au mode de convocation qui serait envoyé.
Viennent ensuite les instructions du 28 mars, où vous répétez que la proposition de la Constitution sera énoncée par les assemblées coloniales existantes ou confirmées, ou par celles qui seraient formées dans le cas où il n'en existerait pas. C'est dans le mode de la convocation provisoire que se trouve l'article 4, par lequel il est dit que toutes personnes propriétaires, domiciliées et payant contribution, se réuniront pour former les assemblées paroissiales.
Un autre article porte que ces assemblées coloniales, soit qu'elles soient formées avant la publication du décret, soit qu'elles aient été formées après la convocation, émettront leur vœu sur la constitution de la colonie, et, est-il dit, sur les droits de citoyens actifs et d'éligibilité.
Les hommes libres de couleur nous sollicitaient pour que les droits de citoyens actifs leur fussent accordés ; tous les colons nous disaient : si vous ne laissez pas cet objet à l'initiative des colons blancs ; si vous prenez une décision formelle, vous opérerez la subversion des colonies. (Rires ironiques à gauche.) Ce fait-là n'était pas seulement aligné par les colons, il l'était par tous ceux qui avaient connaissance de la situation des colonies ; et les faits qui vont succéder nous prouveront qu'ils n'avaient pas tort d'avancer celui-là.
Dans cette position-là, que fîmes-nous? nous dîmes : la convocation provisoire dont nous avons parlé, n'aura aucun effet, puisque toutes les assemblées sont formées, et émettront le vœu colonial. Nous ne pouvons pas, dans cette convocation provisoire, prendre d'expression qui exclue les gens de couleur, car nous sommes loin de vouloir établir aucune espèce de préjugés contre eux (Murmures.) ; mais si nous les comprenons explicitement,nous ferons une chose extrêmement dangereuse : nous préviendrons des décisions qui ne peuvent être rendues si elles sont bonnes, que lorsque ces assemblées coloniales déjà existantes nous présenteront leur vœu sur la Constitution. Nous nous sommes donc dit : Nous ne prononcerons pas sur les gens de couleur, et alors il n'y aura aucune inquiétude dans les colonies.
C'est d'après cela, Messieurs, que nous prîmes le texte de notre article 4. Nous croyions que cet article n'exciterait aucune inquiétude, car nous l'avions pris littéralement dans les propres règles de convocation des colonies, dans le règlement de la Martinique, où l'article des citoyens actifs est libellé comme notre article 4. Nous prîmes là notre texte, parce que nous dîmes : nous ne décidons point contre les gens de couleur, nous n'établissons aucun préjugé contre eux, nous conservons leurs droits ; et cependant les assemblées coloniales existantes ne pourront concevoir aucune inquiétude, puisque nous prenons le texte de notre article dans la forme de convocation même, d'après laquelle elles ont été formées. C'est ainsi que l'article 4 vous a été proposé et qu'il a passé dans celte Assemblée.
En général, dans les colonies, on a cru que les gens de couleur n'y étaient pas compris. Mais comme toutes les assemblées coloniales étaient formées, et que toutes ont été confirmées, il n'y a eu lieu à aucune convocation nouvelle, et par suite l'article 4 a été inutile.
On ne l'a pas cru, en général, à Saint-Domingue, où deux partis divisaient la colonie ; où l'un voulait obéir textuellement à vos lois, où l'autre s'en écartait. Le parti qui voulait entraîner la colonie contre la teneur de vos décrets soutenait, en général, que l'article 4 admettait les gens de couleur, et était distinctif du régime colonial et cet argument était le plus puissant dont ils se servissent pour échauffer les esprits contre l'Assemblée nationale. Ceux, au contraire, qui soutenaient les décrets pour conserver dans leur colonie le crédit et l'autorité de l'Assemblée nationale, étaient obligés de dire sans cesse, qu'elle n'avait point entendu créer un nouveau droit aux gens de couleur, et les admettre par l'article 4; qu'ayant donné aux colonies l'initiative, elle n'avait pas entendu la lui ôter en faisant une innovation contraire à tout ce qui avait existé jusqu'alors.
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En prononçant sur l'état politique des gens de couleur, vous courez le risque de perdre les colonies. J'étais intimement convaincu de ce que je viens de vous dire, j'étais profondément pénétré de l'importance du décret dont vous vous occupez, je sais que le destin de ma patrie y est lié. J'ai dû vous dire franchement ma pensée; j'ai fait mon devoir. Maintenant prenez le parti qui vous conviendra. (Applaudissements à droite. Murmures à gauche.)
(La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain).
T26
12 mai
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/26/2/2/
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f8
p4
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1887_num_26_1_10846_t1_0004_0000_8
discours anti raciste de lanjuinnais, qui dérape à la fin, dans son apologie du métissage "par le croisement des races, ils participent, et de la force des Américains et de l'esprit et de l'intelligence qui distinguent les Européens "
p7-9
M. Robespierre
Avant tout, il est important de fixer le véritable état de la question : elle n'est pas de savoir si vous accorderez les droits politiques aux citoyens de couleur, mais si vous les leur conserverez ; car ils en jouissaient avant vos décrets. (Murmures et applaudissements.)
(…) / lire ces débats
Sieyes répète ce qu’a dis Robespierre (avant rien, aujourd'hui tout le monde)
Reviens sur la question du 8 : couleur aussi.
Barnave
Le 28 mars, l'Assemblée nationale établit le mode de convocation provisoire, destiné à faire des assemblées coloniales dans les colonies où il n'en existerait pas pour énoncer le vœu colonial.
Or, il existait des assemblées coloniales, formées, élues, avouées par les citoyens, dans toutes les colonies,: de sorte que la convocation provisoire du 28 mars a été entièrement sans effet.
M. l'abbé Grégoire.
Il n'est question que d'un fait relatif à ce qu'a dit M. Barnave. Le 28 mars, quand les instructions furent présentées, c'est moi, Messieurs, qui ai demandé que, dans l'article 4, les gens de couleur fussent expressément compris, nominativement exprimés. Et pourquoi le demandai-je? C'est que je savais toutes les vexations, toutes les injustices qu'ils allaient éprouver ; c'est que je savais très bien que, constamment opprimés dans ce pays-là, on cherchait encore à leur ravir les droits de citoyens actifs. On me répondit à cela que ma demande était inutile, puisque, les termes étant généraux, ils comprenaient les gens de couleur comme les autres. Ce fut M. Barnave lui-même ! qui me fit cette réponse. (Applaudissements.)
M. Dupont.
Nous avons perdu deux jours, parce que l'Assemblée n'a pas voulu expliquer si elle entendait comprendre les gens de couleur. (Aux voix !)
La seule question est de savoir si les gens de couleur sont compris dans l'initiative. Si vous voulez les comprendre, vous direz oui ; si vous ne voulez pas les comprendre, vous direz non. (Aux voix ! aux voix !) ;\i
La loi est faite, si vous avez voulu les comprendre; sinon, il faut faire la loi.
Ainsi je demande que la question soit posée en ces termes : L'Assemblée nationale, par son décret du 12 octobre, a-t-elle entendu comprendre les gens de couleur, oui ou non ? Voilà la seule manière de la poser. (Applaudissements.)
M. l'abbé Sieyès.
Vous ne pouvez, Messieurs, fermer la discussion sur l'Assemblée nationale elle-même; ce n'est pas pour moi, c'est pour elle que je demande la parole. (Aux vtiix !)
M. Barnave a promis de répondre à mes observations ; s'il n'a pas tenu sa parole en ce moment, il l’a tenue d'avance. Voici ce qu'il disait le 28 mars et sur quoi l’Assemblée nationale à rendu son décret: «Pour connaître le vœu des colonies, il est indispensable que l'on forme des assemblées coloniales, soit dans celles où il n'en existe pas encore, soit dans celles où les assemblées existantes ne seraient pas autorisées par la confiance des citoyens ».
J'argumente de là et je demande si les assemblées déjà existantes étaient autorisées par la confiance des Citoyens lorsqu'une très grande quantité de citoyens n'ont pas été appelés à les former. (Murmures et applaudissements.)
Question hommes de couleur députés à l'AN.
Sieyes dit que comité de vérification en faveur. On répond que pas discuté dans les autres comités
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//Je mets ici les débats du 13 mai dans leur quasi-intégralité, car c'est à ce moment que va se discuter la question relative au décret du 15 mai.
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PRÉSIDENCE DE M. D'ANDRÉ.
Séance du vendredi 13 mai 1791.
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/26/2/3/
La séance est ouverte à neuf heures du matin.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f45
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1887_num_26_1_10861_t1_0041_0000_5
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L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités de Constitution de la marine, d'agriculture et de Commerce et des colonies réunis, sur l'initiative à accorder aux assemblées coloniales dans la formation des lois qui doivent régir les colonies et sur l'état civil des gens de couleur;
M. Pétion de Villeneuve.
Messieurs, par un décret rendu hier, vous avez décidé qu'il y avait lieu à délibérer sur le projet de vos quatre comités. Avant de donner mon opinion sur ce projet, je vais vous donner lecture dé deux lettres assez importantes.
On a lu à cette tribune, et on a répandu avec -profusion dans le publie,une prétendue délibération du commerce qui a pu influer sur la décision de l'Assemblée; il est juste que l'Assemblée entende aussi la lecture de documents qui y répondent. Voici ces deux lettres (Murmures)..
(...)
M. le Président.
J'observe que si la délibération s'ouvre d'une manière aussi tumultueuse, je ne sais pas comment elle finira i en tout cas, il m'est impossible au milieu du bruit de vous répondre.
C'est à moi à maintenir l'ordre de la délibération et, si je me trompe, on me réformera.
Ainsi je dois dire qu'il a été décrété qu'on délibérerait sur les articles du comité; c'est donc dans la discussion de ces-articles que les opinants doivent se renfermer. Si à présent on prétend que la discussion est fermée sur le fond (Non! non.'), je consulterai l'Assemblée.
(...)
(L'Assemblée décide que la discussion est fermée sur le fond et qu'elle examinera le projet article par article.).
M. Pétion de Villeneuve
Je vais me renfermer dans le premier article du projet de décret de vos comités. 11 porte « qu'aucune loi sur l'état des personnes ne pourra être faite par le Corps législatif, pour les colonies, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales*
(...)
Maintenant, Messieurs, l'article pour l'initiative marque l'état des personnes. Il s'agit de savoir si sous le mot d'état des personnes on comprend les hommes de couleur. L'article dit en général : « aucune loi sur l'état des personnes » ; mais l'article ne dit pas sur quelles personnes : et ce sera toujours là le point de la difficulté, tant que l'Assemblée ne se sera pas expliquée d'une manière précise. Il faut donc, à cet égard, vous reporter à ce que vous avez fait précédemment; et alors je maintiens que l'article ne peut pas frapper sur les hommes de couleur.
En effet, Messieurs, on a évité de répondre à un fait précis et consolant. Rappelez-vous, Messieurs, ce qui s'est passé lors de l'instruction du 28 mars. Vous avez parlé positivement de toutes les personnes propriétaires et contribuables, et sous le mot de personnes, vous avez compris nettement les hommes de couleur, parce que les hommes libres de couleur sont des personnes.
Mais vous les avez compris encore par la discussion qui a eu lieu à cet égard, et on a fait à ce sujet, à M. le rapporteur, l'interpellation à laquelle il n'a pas répondu et à laquelle je prierais qu'on répondît aujourd'hui non par des divagations,-mais d'une manière nette, précise et positive.
M. Malouet.
Je vais y répondre par le procès-verbal. (Interruptions.)
Plusieurs membres : Entendez-le.
M. Malouet.
Il est temps que vous vouliez bien l'entendre.
Pour établir les faits, je dis qu'il n'y a qu'à consulter le procès-verbal. M. l'abbé Grégoire a exposé hier à l'Assemblée que c'était lui qui, dans la séance du 28 mars 1790, avait demandé si les gens de couleur n'étaient pas compris dans le mot : des personnes^ de l'article 4 et que le rapporteur lui-même lui avait répondu qu'ils y étaient compris. Nous avons fait venir le procès-verbal (Murmures.) ;... il a été lu par MM. les secrétaires et par moi : il porte qu'un membre ayant demandé que les gens de couleur fussent compris dans l'article, un autre membre a observé que, cette question ne devait pasx être traitée et que sur ce, l'Assemblée a passé à l'ordre du jour.
M. l'abbé Grégoire.
Monsieur le Président, je demande la parole.
M. de Curt.
Je demande que l'on apporte le procès-verbal à l'Assemblée.
(...)
M. le Président.
On a envoyé chercher le procès-verbal.
M. l'abbé Grégoire.
Je vais répéter le fait dont il est actuellement question et j'invoque ici le témoignage de beaucoup de mes collègues qui s'en souviennent.
A la séance du 28 mars 1790, j'ai demandé que les hommes de couleur fussent désignés nominativement dans l'article 4 des instructions décrétées pour les colonies. Là-dessus une foule de membres, les députés des colonies eux-mêmes et [page 43] particulièrement M. Barnave qui est là, s'empressèrent de me dire qu'ils y étaient compris, que Je mot personnes était général.
M. Tuaut de La Bouverie.
Je me le rappelle.
M. le Président.
Je l'ai toujours cru.
M. l'abbé Grégoire.
J'invoque ici la bonne foi. Je vous demande, Messieurs, qu'on présente le procès-verbal. Voici d'ailleurs une réflexion incontestable; que l'on prenne pour juge qui l'on voudra, qu'on lui demande ce que signifient ces mots : personnes libres et propriétaires ; je lui demande s'ils ne s'appliquent pas aux hommes de couleur libres et propriétaires. (Applaudissements.)
M. Barnave.
Messieurs, je ne veux point entrer dans le fond de la question ; j'ai déjà établi à plusieurs reprises qu'elle n'était nullement dans le point où on voulait la placer, puisque le mode des convocations provisoires que l'on avait envoyé n'a eu aucune exécution, attendu la validité accordée par l'Assemblée nationale aux assemblées coloniales existantes. (Murmures)..... On donne assez d'avantage à ceux qui m'attaquent pour qu'on veuille m'accorder assez de silence pour pouvoir me faire entendre.
Je disais donc que le point de la question n'était pas là, puisque l'Assemblée nationale avait déclaré valider au moyen de l'aveu des citoyens les assemblées coloniales existantes, lesquelles ont été confirmées parles assemblées paroissiales dans les colonies et enfin parce que le mode de convocations provisoires que Ton avait envoyé, et qui s'est prouvé sans exécution, n'empêchait pas que vos mêmes instructions autorisaient les assemblées coloniales à présenter leurs vœux sur le mode définitif, c'est-à-dire sur les qualités de citoyen actif et d'éligibilité.
Quant au fait que rappelle M. l’évêque de Blois, il n'ignore pas que dans le comité colonial où je crois qu'il est plusieurs fois venu dans ce temps-là, ou au moins sont venues des personnes de sa connaissance, et notamment celles qui défendaient ici les intérêts des hommes de couleur ; il n'ignore pas, dis-je, que nous avons constamment répondu a tous ceux qui nous consultaient, que les termes généraux de l'article 4 ne présentaient aucun préjugé contre les hommes de couleur, mais que nous ne croyions pas devoir lés désigner nominativement ; et en même temps nous nous sommes constamment refusés à ajouter à l'article ces mots : sans exception de couleur. Lorsque M. l'évêque de Blois m'a parlé, je lui ai répété le même fait et je lui ai dit : la rédaction de l'article ne renferme évidemment aucune exclusion ; mais, si vous voulez en demander davantage, vous porterez le trouble dans les colonies.
Un membre: Cela veut dire que les hommes de couleur sont compris dans l'article. (Marques d'assentiment.)
M. Barnave.
Voilà ce que j'ai dit formellement à M. l'évêque de Blois. Quant au surplus, M. de Tracy vient de demander qu'on rapportât le procès-verbal de la relue des articles qui avaient été modifiés, et voici le fait : on n'a rien demandé à cet égard ; on n'a pas réclamé une nouvelle relue. Il n'y a eu, j'en atteste tous les membres de l'Assemblée, il n'y a eu aucune modification aux instructions, que dans les deux derniers articles, qui n'ont aucune espèce de rapport aux gens de couleur. Nous ferons lire, si l'on veut, tous les journaux du temps, tous les procès-verbaux possibles ; j'affirme qu'il n'y a eu dans les deux instructions qu'un changement, non pas de sens, mais de rédaction.
Il était dit dans les deux derniers articles sur les bases du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif dans les colonies, que les assemblées coloniales, en organisant le pouvoir législatif, seraient obligées de s'astreindre à telles bases, et ensuite qu'en organisant le pouvoir exécutif dans les colonies, elles seraient obligées de s'astreindre à telles autres bases énoncées dans l'article. M. l'abbé Maury, dans un discours sur les instructions, démontra et fit admettre dans l'Assemblée que ces mots : » En organisant le pouvoir législatif;... en organisant le pouvoir exécutif..... » semblaient donner un pouvoir aux colonies de faire leur constitution, tandis que nous n'entendions ne leur faire émettre qu'un vœu. Nous reconnûmes nous-mêmes que notre intention n'avait été autre que celle qu'on nous présentait, ét en conséquence les articles furent amendés ici même dans l'Assemblée sur-le-champ, et au lieu des mots : « en organisant le pouvoir législatif;... en organisant le pouvoir exécutif... », on mit : « en examinant les formes suivant lesquelles le pouvoir législatif doit être établi ;... en examinant les formes suivant lesquelles le pouvoir exécutif doit être établi...,. »
Voilà quelles ont été les modifications, non pas de sens, mais de simple rédaction qui ont été faites dans l'Assemblée. L'Assemblée n'a point ordonné à son comité de lui rapporter les instructions : les amendements ont été faits là. Si les instructions ont été lues après, c'est avec le procès-verbal de la séance, comme sont lus ici tous les décrets possibles. Du moment que les amendements ont passé, les deux amendements ont été adoptés. Si l'on veut faire relire tous les journaux du temps, on trouvera qu'ils ont été dans la lettre, dans l'esprit même de ces instructions et on ne trouvera nulle part que le comité ait été tenu de faire une nouvelle lecture, à moins qu'elle n'ait été faite avec le procès-verbal de l'Assemblée.
Tels sont les faits, et j'affirme aussi qu'il n'a été ni proposé à l'Assemblée, ni admis dans l'Assemblée aucune espèce d'amendement et de modification sur l'article 4, dans lequel on dit que les intérêts des gens de couleur se trouvent compris.
M. de Tracy.
Je n'affirme rien, parce que je n'ai point la mémoire aussi certaine que M. Barnave ; mais il est très aisé de se faire rapporter les procès-verbaux de ce temps-là. On y verra différentes observations ou modifications consignées dans les procès-verbaux qui sont imprimés.
M. Lavie, secrétaire.
Voici, Messieurs, le procès-verbal de la séance du 28 mars :
« Un membre a demandé que l'Assemblée décrétât, le plus promptement possible, le projet de l'instruction, pour être envoyée incessamment aux colonies.
« Un autre membre a fait sur l'article 4 une proposition relative aux gens de couleur.
« Plusieurs ont demandé que la discussion n'eût pas lieu sur cette proposition, mais qu'elle continuât sur l'instruction et les amendements proposés jusqu'alors. »
M. Lanjuinais.
Messieurs, je ne dis qu'un mot sur Cette rédaction. D'abord,il résulte évidemment [page 44] que M. l'évêque de Blois n'a rien avancé que de très conforme au fait, parce qu'il n'est point dit que l'on a rejeté par l'ordre du jour la question proposée; mais simplement qu'on n'a pas délibéré, parce que ces paroles claires et évidentes ont paru n'avoir pas besoin d'être commentées.
On vous dit qu'on avait mis ces paroles-là pour qu'il n'y eût aucun préjugé. Je dis, Messieurs, que c'est là une étrange duplicité que de vous dire que ces mots : « les personnes libres, contribuables, âgées de 25 ans, domiciliées, propriétaires, » renferment évidemment les gens de couleur, et que c'est ne rien préjuger, tandis qu'il est évident que l'on a tout préjugé ; mais quand on ajoute aujourd'hui que l'on demande un congrès pour expliquer ces termes, c'est répandre le plus épouvantable des préjugés contre les gens de couleur.
On vous dit que vous ne voulez rien préjuger, et aujourd'hui l'on veut que vous préjugiez, de la manière la plus effrayante, le sort de ces malheureux; je dis effrayante, car je liens de M. Barnave que, quel que soit l'événement, le congrès ne sera pas d'avis d'accorder aux gens de couleur l'exercice des droits politiques, à moins que ce ne soit avec des modifications qui comprennent parmi les esclaves politiques les affranchis et les enfants d'affranchis; je dis que voilà ce que je -tiens de lui-même. Ainsi donc n'ayez nulle confiance dans le congrès. Rappelez-vous, Messieurs, ce que vous avez décidé, et tenez-vous y formellement,si vous ne voulez pas voir une séparation -générale entre ces deux classes de citoyens.
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély).
Il est important de rappeler à l'Assemblée les faits dans toute leur exactitude. On dit que l'Assemblée a délibéré sur la motion de M. l’abbé Grégoire en faveur des gens de couleur et que cette motion a été rejetée J'invoque la mémoire de ceux qui étaient présents, celle même de M. Barnave, pour attester qu'au contraire l'article du procès-verbal qu'on vient de lire est relatif à une motion de M. Cocherel, contraire aux gens de couleur.
Il est de fait que M. Cocherel, dont l'Assemblée connaît oU peut se rappeler la tranquillité, s'éleva contre l'article 4. Il demanda qu'on prononçât sur-le-champ la rejection des gens de couleur ; et alors on ne voulut pas délibérer sur cette injuste proposition, qui contrariait les termes précis du décret. On demanda Tordre du jour, ou qu'il n'y eût pas lieu à délibérer, et c'est sur cette motion contraire aux gens de couleur, contraire à l'article 4 du décret, que l'Assemblée décréta qu'il n'y avait pas lieu à délibérer.
J'ajoute que M. Tronchet a posé hier la véritable question que vous avez à décider. M. Tronchet a dit que vous aviez ordonné, à l'époque du décret dont il est question, que les assemblées coloniales existantes vous donneraient leur vœu, si elles étaient confirmées parle vœu des paroisses ; il vous a dit que vous aviez fixé un mode de convocation des assemblées coloniales qui, ou ne seraient pas assemblées, ou ne seraient pas confirmées par les paroisses.
II s'agit donc de savoir si les formes prescrites par les. délibérations des paroisses, soit pour conserver les assemblées, soit pour former celles qui ne seraient ni confirmées ni convoquées à l'époque de l'arrivée du décret ; il s'agit, dis-je, de savoir si ces formes ont été suivies, si les individus auxquels vous avez accordé le droit de voter, ont voté en effet dans les nouvelles assemblées primaires, et si, dans le cas où ils n'auraient pas voté, vous voulez, par ce défaut de forme, anéantir les assemblées dans Lesquelles ils n'ont pu émettre leur vœu; ou si, voulant éviter des difficultés, vous ne feriez pas mieux de dire, d'un côté, que pour éviter les troubles, vous confirmez les assemblées existantes, et que d'un autre côté, pour qu'il n'y ait pas de doute sur vos intentions, vous expliquiez d*une manière précise l'article 4 de vos instructions, et que vous déclariez que la confirmation de ces assemblées ne porte pas préjudice aux gens de couleur. (Applaudissements.)
Si vous vous écartez de ce mode de discussion, si vous rentrez dans celle qui a eu lieu, ces deux jours derniers, si vous vous ne réduisez pas à ce point,très certainement vous n'obtiendrez pas une décision précise et juste. En vous réduisant à cela, vous aurez le vœu de toute l'Assemblée ; et je puis dire qu'en conciliant ainsi le double intérêt des colonies par la confirmation de leurs droits aux gens de couleur,vous tranquilliserez tout le monde, et vous éviterez tous les inconvénients.
M. de Reynaud.
Vous avez décrété l'article 4, et par ce mot considérant, vous déclarez que les gens de couleur n'y sont pas compris.(Murmures.) vous avez dit dans le considérant, qui est la loi constitutionnelle dans l'organisation des colonies, qu'aucunes lois sur l'état des personnes ne seront faites que sur les demandes formelles et précises de l'assemblée coloniale. Il est prudent de valider ces dispositions sur la colonie de Saint-Domingue. D'après cet exposé, il est évident que vous n'avez pas entendu prononcer sur l'état des personnes.
M. le Président
Vous voyez, Messieurs, que l'ordre de la discussion s'est successivement écarté. M. Pétion a fait une interpellation sous prétexte de répondre : chacun a allégué des faits, des raisons dans son sens, dans son opinion. Je dois donc remettre la discussion dans sa marche naturelle. La discussion est sur l'article premier du projet du comité. Là-dessus on demande la lecture de deux procès-verbaux. On en a déjà lu un, l'autre va vous être lu.
Je demande que l'Assemblée me donne les moyens pour faire continuer une discussion qui ne finirait jamais avec ces interpellations particulières.
(...)
//Destutt de tracy relit une version tronquée
(...)
M. Pétion de Villeneuve.
Je reprends la discussion au point où je l'avais laissée; nous en étions sur un point de fait, qui, d'après les explications qui ont été données, ne me paraît encore que beaucoup plus constant, c'est que l'Assemblée, lors de l'instruction du 28 mars, a entendu décider que, sous le mot de toutes personnes, elle y comprenait les hommes libres de couleur. (Murmures.)
On cherche inutilement à nous écarter du point précis de la question par des interruptions ; mais c'est à la tribune qu'il faut répondre à un fait aussi formel. Mais, Messieurs, dans le cas même où vous n'auriez pas décidé ce point de fait, il resterait toujours a résoudre une question, que le fameux considérant lui-même laisserait dans son intégrité. L'Assemblée a annoncé qu'elle ne statuerait rien sur l'état des personnes que d'après le vœu des colonies, il reste toujours à savoir sur l'état de quelles personnes les colonies doivent vous présenter leurs vœux.
En effet, de quelles personnes avez-vous voulu parler dans votre considérant? Voilà ce qu'il faut décider, et je dis qu'il est impossible que l'Assemblée nationale ne prononce pas en faveur des hommes libres de couleur. Il faut s'en tenir aux décrets et l'on n'y trouvera que des expressions générales et favorables à tous ceux qui sont citoyens; et puisqu'ils ne contiennent pas d'exceptions manifestement exprimées, il ne faut donc pas en torturer le texte pour faire injure aux législateurs et pour ravir les droits des citoyens. Le titre de citoyen actif appartient aux propriétaires et aux contribuables : les hommes de couleur sont propriétaires et contribuables; ils supportent toutes les charges des citoyens actifs et à ce titre ils doivent en recueillir tous les bénéfices; leur droit est fondé sur leurs titres et leurs contributions.
Mais, nous dit-on, et c'està ce point que se réduisent tous les raisonnements, il y a dans les colonies un préjugé qu'il faut se garder de heurter trop promptement. Je dis à ceux qui tiennent ce langage que nous avions aussi des préjugés à vaincre chez nous et que, si nous avions craint de les attaquer de front, nous n'aurions pas encore aujourd'hui de Constitution. (Applaudissements.)^ quel est donc ce préjugé si respectable de nos colonies ? C'est assurément de tous le [page 46] plus insensé, c'est celui qui s'attache à la couleur des personnes.
On vous dit: il ne s'agit que d'un délai ; nous né contestons pas aux gens de couleur libres leur droit,nous en différons l'exercice; nous sommes d’accord sur les principes s, il n'est question que de leur application; — Eh bien ! on parlait aussi de liberté autrefois, les despotes ne contestaient pas les principes, mais, quand il s'agissait de les appliquer, ils tenaient le langage qu'on vous tient aujourd'hui. (Applaudissements.) Rien n'est si facile que de reconnaître les principes quand on ne Veut pas les appliquer.
Ceux qui vous proposent l'ajournement jusqu'après l'émission du vœu d'un congrès de colons blancs ont la certitude que les droits des hommes libres de couleur seront sacrifiés. Oui; Messieurs, ils le seront puisque les juges seront lés oppresseurs des partis, puisque ce sont eux qui ont tous les préjugés que vous voulez détruire (Applaudissements.)
M. Goupil-Préfein.
J'ai l'honneur de vous représenter que la discussion est fermée. (Non! non ! non !)
M. Pétion de Villeneuve.
Ce Congrès de blancs se déterminera, oui ou non, en faveur de vos principes. Dans le premier cas, pourquoi l'Assemblée nationale ne voudrait-elle pas avoir la gloire d'être la première à consacrer ces principes ? Dans le second cas, vous mettez le feu dans les colonies dont vous combattez le vœu.
Vous êtes ici dans une position infiniment défavorable ; et remarquez que nos adversaires eux-mêmes déclarent que les colons propriétaires, c'est-à-dire ceux qui ont le plus d'influence dans les colonies, 'ne sont pas éloignés d'accorder aux hommes libres de couleur les droits qui leur appartiennent; eh bien, si ces colons blancs propriétaires ne sont pas éloignés, quels sont donc enfin ces troubles dont on nous menace ? Quels sont ces dangers qu'on nous fait craindre ? Ils seront Infiniment plus dangereux de l'autre côté, puisque vous avez la certitude d'indisposer, en adoptant le système contraire, une classe d'hommes au moins égale à celle des blancs.
On se plaît, en effet, à diminuer à vos yeux le nombre des gens de couleur. Les étais de population de M. Duchillau portent le nombre des gens de couleur libres à 27,000, c'est-à-dire 2,000 de plus que les blancs. Placez-vous donc entre ces deux systèmes, et alors vous verrez que le trouble qu'occasionnerait l'un ou l'autre de vos décrets n'est rien en raison de l'injustice qu'il y aurait à dépouiller de leurs droits les hommes libres de couleur, car dans cette grande affaire comme dans presque toutes les autres, en suivant les principes de la justice, vous allez droit à votre but, vous occasionnez beaucoup moins de troubles, de divisions, qu'en vous montrant injustes et inhumains envers des citoyens libres comme vous, propriétaires comme vous, payant des droits comme vous.
On a apporté hier dans cette tribune un argument qui ne peut que soulever la plus profonde indignation ; on vous a dit pour vous prouver qu'il y aurait moins de danger à mécontenter les gens de couleur, et on nous a glissé ce fait d'une manière fort adroite, on vous a dit que les hommes de couleur sont désarmés, c'est-à-dire que, parce que ces hommes de couleur sont désarmés, vous pourriez impunément les égorger (Applaudissements.) Non, Messieurs, quand bien même les hommes libres de couleur seraient faibles, ce serait une raison de plus pour que vous leur servissiez d'appui. (Applaudissements.) Et ce n'est pas à vous à qui il appartient d'user de la force pour opprimer les droits, quand vous avez conquis les vôtres.
La question doit se réduire maintenant à celle qui vous a été proposée dans cette tribune, dans des termes très simples, par M. Tronchet. En effet, Messieurs, dans le moment actuel, je l'avouerai, Si les assemblées coloniales sont formées, vous ne pourriez pas sans danger détruire l'organisation de ces assemblées. ; C'est là que vous devez user de prudence ; vous devriez donc dans cette opinion, -si les assemblées sont formées, conserver leur composition telle qu'elle existe.
Mais, Messieurs, cela ne vous engage nullement à violer les droits des hommes libres de couleur, cela ne vous engage nullement à décider que par la suite ils n'auront pas ces droits : et encore une fois, que l'on ne vienne pas nous dire que ce n'est qu'un délai, car ce n'est pas un délai que de remettre une décision dans les mains de ses adversaires ; ainsi ne nous laissons pas aveugler par un prétendu ajournement. Conservons les assemblées coloniales telles qu'elles sont aujourd'hui ; mais alors posons ainsi la question : les hommes de couleur libres seront-ils citoyens actifs, oui ou non ? et mettre ainsi la question aux voix sans rien changer aux assemblées déjà formées.
(...) Barere (...)
M. Moreau-Saint-Méry.
Messieurs, les circonstances qui ont accompagné la discussion du projet de décret relatif aux colonies et notamment dans la journée d'hier ont porté les députés coloniaux à s'assembler. Vivement affligés de la nature des débats que ce projet de décret a excités, nous avons tous été convaincus que, dans l'immense éloigneraient où les colonies se trouvent de l'Assemblée nationale, il est impossible que les détails de cette discussion et surtout la part que nous y avons eue ne produisent pas la plus alarmante sensation. (Murmures.) Nous avons tous été persuadés qu'il n'existait pas un seul colon qui ne fît naturellement la comparaison des opinions actuelles et de celles qui ont produit tous les décrets rendus jusqu'à ce moment sur les colonies par l'Assemblée nationale et qui n'éprouvât aussitôt que la confiance salutaire qu'i Is avaient inspirée s'affaiblît.
Il n'est permis à aucun de nous de calculer les effets que ces idées peuvent produire, et si nous en avions cru les députés extraordinaires de la partie nord de Saint-Domingue, qui s'étaient réunis à nous, de cette partie qui a constamment maintenu l'exécution de vos décrets, il n'est rien de sinistre que nous n'eussions pu concevoir. Dans cette situation douloureuse, nous avons unanimement reconnu que l'amour de la patrie nous imposait un devoir pénible mais nécessaire ; et nous venons le remplir en ce moment.
C'est de vous répéter, Messieurs, que l'intérêt national est essentiellement lié au repos et à la tranquillité des colonies, puisqu'elles sont une des sources principales de nos richesses publiques, et qu'elles sont le plus grand aliment de la marine et du commerce, sans lesquels la France ne pourrait subsister. (Murmurés prolongés.) C'est de faire remarquer l'impérieuse nécessité de protéger et de garantir ouvertement désormais l'existence des colons, parce que la crainte de perdre à chaque instant sa fortune et sa vie ne peut être la perspective continuelle d'hommes, dont l'attachement et l'industrie ont été si utiles à ce royaume, et auxquels l'avenir ne présenterait plus que des tableaux ensanglantés. (Murmures sourds). C'est de nous dire que le soin de notre propre conservation, de celle de nos femmes, de nos enfants, exige que vous prouvions à nos commettants, d'une manière authentique, que nous n'avons pas vu sans frémir les périls qui les menacent : c'est enfin de vous déclarer que, dans l'état où les choses se trouvent placées, il ne reste plus qu'un unique moyen que nous avons saisi avec d autant plus d'espoir de succès qu'il doit tout concilier, qu'il sera utile.....(Murmures.)
M. Lebois Desguays.
Je ne suis point de l'avis de MM. des colonies, mais je demande qu'on les entendre.
M. Moreau-Saint-Méry.
Le moyen sans lequel nous ne pouvons plus rien vous promettre de la part de ceux que nous représentons, c'est de déclarer solennellement que ceux qui oseraient encore tenter d'inspirer aux colons la crainte de perdre leurs esclaves, qui espéreraient peut-être par là de tenter leur fidélité, seraient coupables, et calomnieraient l'Assemblée nationale ; c est d'ajouter à cet acte conservateur des colonies la mesure qui tend à faire délibérer en commun, pour émettre leur vœu sur l'état politique des hommes de couleur, attendu que toutes les colonies ont un égal intérêt à cette réunion, et qu'il serait peut-être dangereux qu'elles crussent que leur séparation, quand il s'agit du salut de tous, ne fût l'effet que d'un calcul qui marche vers des résultats ultérieurs. Pour remplir ce double but, nous venons vous demander l'adoption de la rédaction faite du [page 48] projet de décret de vos quatre comités, dans lequel nous sentons que désormais la moindre équivoque et la moindre ambiguïté seraient .funestes, et je vais le présenter en ces termes :
« Art. 1er. L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des esclaves dans les colonies de l'Amérique ne pourra être faite par le Corps législatif que sur la demande formelle et spontanée deleurs assemblées coloniales* (Murmures et quelques applaudissements.)
Les articles suivants ne sont autres que ceux du comité :
(...) art 3-13 (...)
J'ajoute enfin, comme dernier article, la disposition suivante :
. « Art. 14. L'état politique des hommes de couleur et nègres libres ayant été réglé définitivement parle Corps législatif sur la proposition du congrès assemblé dans l'île de Saint-Martin, il ne pourra y être fait de nouveaux changements, si ce n'est sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales. » (Murmures prolonr-gés.)
M. Bouchotte
On a réclamé avec justice en faveur des gens de couleur ces fameux droits de l'homme dont la rédaction, après avoir servi à notre globe, deviendra tôt ou tard le code des nations. On vous a prouvé qu'il n'était pas possible de dépouiller par,une loi les citoyens de tous les droits que leur état leur donne. Le rapporteur a parfaitement établi, non la justice du premier article des 4 comités, mais l'adresse avec laquelle ces comités ont éludé la question de l'état actuel des gens de couleur libres, nègres et mulâtres libres.
Examinons les droits que votre Constitution donne à tous les citoyens de l'Empire :
Libres comme les blancs, les nègres et les mulâtres libres de nos colonies ont incontestablement en principe le droit de jouir de toute leur liberté.
Citoyens comme les blancs, les nègres et les mulâtres libres ont droit à la protection des lois. Le fer vengeur du crime doit frapper sur leurs têtes coupables ou protéger leur vie; innocente, de même qu'il doit en frapper le blanc oppresseur ou le défendre s'il est attaqué.
Enfin propriétaires comme les blancs, les nègres et les mulâtres libres sont comme tous les Français, rois de leurs propriétés ; non seulement on ne peut pas les en priver en totalité, mais la contribution ne peut leur en enlever la moindre partie si la volonté générale, de laquelle la volonté individuelle fait partie, n'a consenti l'impôt et n'a fixé le mode de répartition.
Il paraît bien inconcevable que vos comités aient éludé toutes ces questions, lorsqu'ils sentaient que ne pas.les décider, c'était, dans le sens des colons blancs, ôter aux nègres et aux mulâtres libres l'exercice des droits d'homme libre,, de citoyen et de propriétaire. Or, je demande quel serait l'homme vivant sous l'empire de la France, qui ne regarderait pas comme une insulte grave,, comme une ironie offensante, l'assurance qu'on lui donnerait qu'il est libre, en lui déclarant qu'on ne souffrira pas qu'il use de cette liberté l
Un honorable membre, M. Malouet, prétendait l'autre jour à cette tribune qu'on u'ôtait rien aux nègres et aux mulâtres libres, puisqu'on ne leur avait accordé, d'après les lois de Louis XIV et de Louis XV, que la liberté civile et nullement la liberté politique ; et s'il ne concluait pas, il nous en laissait au moins naturellement conclure que la liberté politique ne leur était pas due.
M. Malouet.
Je n'ai pas dit cela. J'ai dit, et je pense que les droits politiques, dans un pays, ne peuvent être déterminés que d'après les principes de la Constitution de ce pays. Or, comme vous avez reconnu que votre Constitution, n'était pas applicable dans tous ses détails aux colonies, que vous avez demandé aux colonies elles-mêmes de s'expliquer sur leur constitution, j'ai dit que c'était aux colonies elles-mêmes à s'expliquer sur leur constitution.
M. Bouchotte.
Qu'on nous dise donc aussi si [page 49] quelqu'un a retrouvé dans ces mêmes lois de Louis XIV et de Louis XV une disposition qui ait donné à" vos pères et à vous le moindre droit de réclamer cette liberté politique que vous avez reconquise, et qui ait borné votre liberté à des réclamations purement civiles amalgamées avec la servitude la plus complète. Si un pareil argument est bon pour river les fers des gens de couleur, qu'on me dise comment lorsqu'on vous en a fait un semblable, au moment où la France allait se dérouiller, il n'a servi qu'à doubler les forces des Français d'Europe pour rompre leurs chaînes,et comment nous pourrions croire que des Français libres dans un autre hémisphère n'aient pas un coeur tel que le nôtre, quoique l'enveloppe qui le couvre soit d'une enveloppe un peu plus rembrunie.
Mais les circonstances, nous a-t-on dit, ne nous permettent pas de nous expliquer franchement sur cette question ; l'Assemblée nationale a pris des engagements avec la colonie- Eh bien, répondrai-je, examinons ces circonstances, pour savoir si elles sont telles qu'elles nous forcent à n'être pas justes envers lés citoyens de couleur; examinons les engagements que nous avons pris avec les colonies, pour qu'on ne puisse pas nous faire le reproche, ou d'en avoir pris de téméraires, ou de ne les avoir pas remplis.
Nous avons promis de maintenir la propriété des Américains, et dans le nombre de leurs propriétés se trouvent être leurs esclaves ; mais avons-nous promis aux colons blancs d'augmenter les propriétés des colons noirs ou mulâtres libres, et de faire dé ceux-ci, sinon dés esclaves, au moins des ilotes travaillant pour le gouvernement, qui les opprimerait, versant leur sang pour une patrie qui né serait pas la leur, payant des contributions qu'ils n'auraient pas consenties, et supportant, au profit des blancs, toutes les charges de la liberté sans jouir de ses avantages? N'ont-ils pas combattu avec les Français contre l'Angleterre? Le sang qu'ils ont mêlé à celui des blancs n'était-il pas du sang?
Les Anglais, dit-on, ont fait des pertes, ils cherchent peut-être. à les réparer, et il peut se faire qu'ils regarderont nos colonies comme, un dédommagement que leur offre notre mésintelligence... Ah! s'il arrivait que cette crainte, au fond très chimérique, pût faire refuser aux gens libres de couleur ce qui leur est dû à tant de titres, je dirais qu'il est possible de voir s'élever sur le même rivage deux colonnes : l'une attesterait que des nègres et mulâtres libres, sujets d'un de nos rois, ont servi tout à la fois et à la gloire de ce prince et à la conservation des colonies; sur l'autre seraient écrits ces mots : « Des nègres et mulâtres, appelés libres, se sont retirés, parce qu'ils n'avaient aucun intérêt à défendre une liberté qui ne leur appartenait pas. »
Qu'est-ce que l'état des, personnes dans les colonies? C'est sans doute l'état de liberté ou d'esclavage. En Amérique, comme en Turquie, on n'en connaît pas d'autres. Nous nous sommes donc interdits de prononcer sur l'état des personnes non libres, sans l'initiative des colonies; niais ce considérant, fruit de la sagesse de l'Assemblée; ce considérant a-t-il préjugé que les colons libres, exilés par la force, la violence ou le préjugé, ne seraient nullement entendus, nullement représentés ? Et au moment où la noblesse d'une puissance du Nord veut bien appeler une portion d'hommes, qu'elle regarde comme des affranchis, à délibérer avec elle sur leurs intérêts communs, serait-il possible, Messieurs, que l'Assemblée adoptât le premier article du décret qui lui est présenté, article insignifiant, par lequel, sous prétexte de ne pas préjuger la question en faveur des gens de couleur, on la jugerait inévitablement contre eux ?
Je me réserve de demander que des commissaires choisis par les nègres libres et hommes de couleur s'assemblent aussi à Saint-Martin, séparément des blancs si on ne veut pas choquer leurs .préjugés, pour former un cahier de demandes communes.
M. Dupont (de Nemours).
Tous les raisonnements des orateurs portent sur l'initiative que vous avez accordée aux colonies en ce qui concerne l'état des personnes. Personne ne conteste, Messieurs, que vous avez, par un préambule et par un article, promis et donné aux colonies l'initiative sur les décrets que vous auriez à rendre quanta l'état des personnes. Mais cette initiative, il est sensible que vous avez voulu la donner pour les lois à faire et non pas pour les lois faites.
Or, Messieurs, quant à l'état des personnes, ce n'est pas une question très compliquée. Les personnes, surtout depuis votre Constitution, sont libres, ou ne le sont pas. Les hommes de couleur libres, contribuables et propriétaires, jouissent de tou3ies droits dont jouissaient les blancs contribuables et propriétaires ; avant votre Constitution, ils en jouissaient par l'édit de 1685. Les atteintes portées à cet édit par des ordonnances de gouverneur, par des règlements du conseil supérieur, ne sont pas des lois, et n'ont pas pu détruire des droits établis par les lois, dans les formes alors légales.
On vous a dit, pour montrer l'inégalité de ces hommes libres, qu'ils étaient soumis à des peines quand ils avaient commis des délits. Tout homme, dans tout pays, est soumis à des peines, quand il commet un délit. On vous a dit qu'ils étaient obligés par les lois de respecter les blancs. Cela est très naturel, car ils sont les enfants des blancs; et par nos lois, nos enfants sont obligés de nous respecter, quoiqu'ils aient avec nous un droit politique. (Applaudissements.)
Qu'oppose-t-on au droit que vous avez d'expliquer le sens de vos décrets sur l'état des per-sonnès ? On oppose les répugnances d'une puérile vanité, le désir de conserver dans les colonies un degré de noblesse de plus. Car jusqu'à présent les colons ont été si loin de vos principes, qu'ils ont encore 7 ordres de noblesse comme les 7 chœurs d'anges et d'archanges. Us ont les nobles blancs qui, chez eux, n'ont pas quitté leurs titres dont quelques-uns vous feraient rire en Europe; ils ont les grands blancs propriétaires, ils ont les petits blancs.
Or, vous savez que ce ne sont pas ceux qui ont 3 pieds- 4 pouces, mais que c'est un ramas de gens sans patrie, sans lois, sans mœurs, livrés aux plus honteuses débauches et aux métiers les, plus vils. C'est cette petite classe de petits blancs qui, dans l'Amérique, est beaucoup plus fière de sa noblesse blanche que ne le sont les véritables colons, les plus riches, propriétaires ; de même qu'en France les fils de secrétaires du roi étaient de beaucoup plus rudes seigneurs que les Montmorency. (Rires et applaudissements.)
Au-dessous de ceux-là se trouvent les quarterons, les métis, les mulâtres, les nègres libres et enfin les nègres esclaves qui sont le véritable peuple du pays, puisque c'est lui qui cultive la terre, et exerce ses bras. C'est bien assez que cette profonde plaie, faite par l'esclavage à l'humanité, ne puisse être guérie que par degrés. Du moins, n'est-ce pas aux fondateurs de la liberté humaine qu'il convient d'ajouter à cette inégalité, en instituant de nouvelles classes de noblesse, lorsqu'ils ont détruit celles qui existaient dans leur pays.
On vous menace du ressentiment de ces nobles d'outre mer. (Rires.) On vous dit que leur courroux les rendra traîtres à la patrie, et les fera renoncer à faire partie de l'Empire français. Depuis que nous vivons ensemble, nous avons tous l'expérience qu'on ne doit opposer aux menaces que le mépris et l'intention énergiquement prononcée de repousser l'attaque et de punir les menaceurs. Alors ils sont bientôt intimidés. (Applaudissements.)
Mais, Messieurs, on calomnie dans cette tribune les habitants de vos colonies. Croyez que leurs liaisons avec la mère patrie tiennent à leurs intérêts, à leur honneur, à ieur culture, à leur commerce et à leurs serments, et non à une puérile vanité. Ceux-ci se consoleront comme se sont consolés tous les nobles français qui avaient quelque sens et quelque âme (Applaudissements.) ; ils ont vu qu'ils n'avaient au fond rien perdu de réel ; ils ont vu que leurs enfants avaient beaucoup gagné par la nécessité d'acquérir du mérite ; ils ont vu que l'humanité entière y gagnait.
C'est quand les arbres sont pressés dans une forêt, que ceux qui ont de la vigueur filent haut. Il n'y a que ceux qui ont un vice intérieur, qui périssent; mais quel lâche oserait avouer qu'il a un vice intérieur ! Ne craignons pas, Messieurs, la séparation de nos colonies. Si elle devait avoir lieu, si vous vous trouviez dans la nécessité pressante de sacrifier ou la justice ou l'humanité, je vous dirais que votre puissance unique tient à l'équité ; que, si vous abandonniez celte base, alors vous exposeriez le salut de tant de travaux fameux que vous avez faits pour l'humanité; et qu'ainsi votre intérêt, celui ae l'Europe, celui du monde exigerait que vous n'hésitassiez pas dans le sacrifice d'une colonie plutôt que d'un principe. (Murmures et applaudissements.)
Hé, Messieurs, quand on veut combattre un ennemi, il faut le regarder entre les deux yeux ; il faut savoir ce que c'est que cette menace de la séparation des colonies; il faut vous tirer d'un sophisme dans lequel les négociants et les colons blancs vous enveloppent aujourd'hui.
Rappelez-vous que, lorsque les députés des colonies sont arrivés, ils vous ont demandé, avec les mêmes menaces qu'on vous fait aujourd'hui, de laisser leurs ports ouverts aux vaisseaux de toutes les nations; et vous y avez consenti moitié par condescendance, moitié par philosophie. C'est dans cet état qu'ils subsistent de fait depuis que ces députés siègent dans cette Assemblée.
MM. Bégouen et de Gouy d'Arsy.
C'est absolument faux !
M. Dupont (de Nemours).
N'imaginez pas que vos colonies se donneront à l'Angleterre, car premièrement leur patriotisme repousserait cette idée; et si elle a pu être prononcée dans l'Assemblée nationale, j'en suis honteux pour ceux qui en ont ouvert l'avis. Elles ne se donneront point à l'Angleterre, parce que ce n'est point leur intérêt, que l'Angleterre les réglementerait plus durement que vous; et que ce n'est pas pour être réglementées qu'elles veulent' avoir une existence commerciale et politique.
Je dis donc, Messieurs, que s'il était possible que ces colons voulussent se séparer de vous, ce ne serait pas pour se donner a l'Angleterre, ce serait pour former eux-mêmes un Etat indépendant. Je dis qu'ils y trouveraient peu d'avantages, attendu que la nécessité de se protéger eux-mêmes leur coûterait plus cher que la protection que vous leur donnez. Mais supposez qu'ils fissent cette folie et qu'ils voulussent doubler leurs impositions pour se protéger eux-mêmes, pour avoir les honneurs d'une République : qu'arrive-rait-il, Messieurs? Ils ne boiraient pas de vin d'Angleterre; ils ne mangeraient pas d'huiles d'Angleterre. Ils ne consommeraient point de sa-, vons d'Angleterre; ils n'emploieraient point d'étoffes de soie d'Angleterre, attendu que l'on fait en France des étoffes de soie bien meilleures; ils consommeraient peu de draps d'Angleterre, attendu que le drap n'est pas à leur usage-: ils consommeraient dans les premiers moments quelques toiles de Silésie en concurrence avec les vôtres; et pourquoi, Messieurs, les toiles de Silésie auraient-elles de l'avantage sur les vôtres? C'est parce que votre commerce était très gêné; c'est parce qu'on n'avait pas assez d'instruction et de liberté chez vous pour savoir que vous pouviez très bien soutenir la concurrence avec la Silésie.
Il sera ce qu'il pourra être des assemblées coloniales qui existent ; ce dont il s'agit est qu'à l'avenir il ne se forme aucune assemblée politique, aucune assemblée coloniale, aucune assemblée de paroisse, aucune assemblée primaire où ceux qui jouiraient en France des droits de citoyen actif ne jouissent pas de ces droits dans les colonies.
Et remarquez, Messieurs, combien il serait honteux que vous établissiez une borne sévère, dans vos colonies, à la jouissance des droits de citoyen actif, tandis que votre sagesse en Europe les a étendus jusqu'aux hommes qui peuvent gagner 10 écus par an dans les campagnes et 20 écus dans les grandes villes.
M. de Gouy d'Arsy.
Vous avez excepté les juifs d'Alsace. (Murmures.)
M. Dupont (de Nemours).
Les juifs d'Alsace seront citoyens actifs comme les autres (Applaudissements.) et vous ne consentirez pas que des contribuables propriétaires soient exclus des droits de citoyens actifs, parce cela choquerait la vanité de leurs frères, de leurs pères, de leurs cousins germains.
Je conclus, Messieurs, que, sans nous embarrasser de ce qui a pu être fait de mal, nous consultions nous-mêmes, dans notre propre conscience, qu'elle a été notre volonté; que nous nous expliquions nous-mêmes, et sans aller demander à un congrès de Saint-Martin, ce que veut dire l'article décrété par nous, que tout homme libre, propriétaire contribuable, et nous n'avons point parlé de gens de couleur, sera admis aux assemblées primaires.
Je demande, par conséquent, que vous vous expliquiez et donniez la priorité au projet de décret de M. Barrère, qui connaît le mal passé, y met une borne et annonce le bien futur. (Applaudissements)
[page 51]
M. l'abbé Maury
Messieurs, j'ai souvent regretté, je l'avoue, durant le cours de cette discussion,que l'Assemblée nationale, occupée d'une matière infiniment délicate et qui devient bien plus difficile encore par les circonstances, ne se fût pas conformée aujourd'hui à un exemple de haute sagesse, qu'elle aurait trouvé dans sa propre histoire. Nul de vous, Messieurs, ne peut avoir oublié que, l'année dernière, plusieurs de nos collègues, animés sans doute par des motifs très respectables, voulurent traduire à cette tribune la grande et terrible question de l'esclavage légal des nègres qui cultivent nos colonies. (Murmures.)
Un membre : On n'a pas parlé de cela.
M. l'abbé Maury.
Les colons, par des écrits multipliés, nous manifestèrent aussitôt leur terreur. Toute la nation, attentive à un si grand intérêt, se disposait à entendre discuter un problème qui allait mettre aux prises la morale avec la politique, et les réclamations du patriotisme avec les droits de la liberté. Les orateurs étaient prêts à affronter tous les dangers dont cette question était environnée; ils avaient déjà obtenu qu'elle fût placée à l'ordre du jour. La lice était ouverte. Les combattants avaient oublié la nation et ne voyaient plus, dans la ruine de votre marine et de votre commerce, que la conquête de leur propre gloire. Mais, au moment où la discussion allait s'ouvrir, votre sagesse leur imposa silence, en décrétant tout à coup, avec l'acclamation la plus unanime, cette loi nécessaire que l'éloquence contestait vainement à la raison.
Cette mesure de prudence fut applaudie dans tout le royaume et, j'ose ajouter, dans l'Europe entière. Il aurait été digne de vous de l'adopter dans cette circonstance. Les débats actuels vous ramèneront, tôt ou tard, vers cette même question que vous aviez voulu sagement étouffer dès son origine. La discussion qui vous occupe dans ce momentn*est d'ailleurs ni moins embarrassante, ni moins difficile. Aux efforts que l'on fait pour l'obscurcir ou pour la rendre problématique, vous pouvez juger aisément que le talent des orateurs s'accommode infiniment mieux de la hardiesse que de la sagesse des opinions. Les grands effets e l'éloquence appartiennent/en effet, nécessairement aux hommes passionnés, qui s'emparent ici de la cause apparente de l'humanité et ne nous laissent que les humbles et froids principes de la sagesse et du bon sens. Toutes les fois que de si grands intérêts sont agités solennellement dans une assemblée nombreuse, où tous les auditeurs jugent avec leur coeur, bien plus qu'avec leur raison, ce n'est plus la vérité quel'on cherche, c'est la victoire. On ne défend avec avantage une opinion exacte, mais rigoureuse, que tête à tête avec son ami. (Applaudissements à gauche.) Dès que les interlocuteurs, et surtout dès que les témoins se multiplient, des sophistes adroits cherchent à entraîner les spectateurs par des mouvements oratoires ou à éblouir la multitude par des raisonnements métaphysiques qu'elle admire d'autant plus qu'elle ne les comprend pas. (Applaudissements et murmures.)
(Une partie des tribunes applaudit; une autre partie murmure.)
A gauche : A l'ordre ! à l'ordre !
M. le Président.
Ce n'est pas de ce moment seulement que je m'aperçois que les tribunes s'écartent du respect qu'elles doivent à l'Assemblée; je leur demande donc.....
Un membre à gauche : Ce sont des colons placés dans la tribune en face de vous qui applaudissent I (Applaudissements dans une tribune.)
M. de La Galissonnière.
Ce sont des hommes libres qui applaudissent !
(...)
suite du discours de l'abbé Maury (...)p51-58
Plusieurs membres de la partie droite s'élancent au-devant de M. l'abbé Maury, lorsqu'il descend de la tribune et l'embrassent.
M. Martineau.
Je demande l'impression du discours de M. l'abbé Maury.
(Cette impression est décrétée à la presque unanimité.)
M. Louis Monneron.
L'article 1er du projet du comité consiste à décréter, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes ne pourra être faite, par le Corps législatif pour les colonies, que sur la demande précise et formelle des ai semblées coloniales. J'adopterais cet article! s'il ne présentait pas un sens vague. Mes commettant?, qui sont des colons, n'ont jamais été assez insensés pour se réserver comme juges et parties, de prononcer sur ce qui est décidé de lait par la nature, et que l'honneur de l'Assemblée nationale est intéressé à maintenir. Vous devez connaître mes commettants et leurs vœux. Je vous demande cette justice pour eux; ce sont des colons.: je serai très courtî Permettes-moi de vous retracer brièvement les sentiments des colons que je représente. Ils m'ont dit : proférez solennellement l'entière adhésion de cette colonie à la nouvelle Constitution ; dites qu'elle a juré de périr plutôt que d'abandonner les principes de la régénération de l'Empire. Renouvelez ce serment en notre nom. Exprimez notre gratitude, et comme Français et comme colons; dites à la mère patrie que l'espace immense qui nous sépare ne fait qu'ajouter à notre vive affection pour elle, que nous n'aurons jamais d'autres intérêts que ceux qui nous lient à une mère si tendre. Mes commettants sont des Français que l'espoir d'un meilleur sort a transportés à 4,000 lieues de leur patrie; ils sont placés a la même distance de l'équateur que l'île de Saint-Domingue; ils ont 50,000 esclaves; leurs voisins, les habitants de l'île de Bourbon, qui ne sont pas encore représentés, en possèdent au delà de 70,000. L'île de France est peuplée d'affranchis, de mulâtres et surtout par un très grand nombre de gens de couleur dont les uns ne portèrent jamais de chaînes, et les autres comptent des ancêtres libres au delà d'un siècle. Ce peuple cultive de l'indigo, il fabrique du sucre, il récolte du coton et du café; en un mot cette colonie présente une similitude parfaite avec celles de l'Amérique française.
Il semble que mes commettants avaient prévu la discussion qui vous occupe dans ce moment, lorsqu'ils m'ont recommandé de soutenir les intérêts des hommes de couleur nés libres. Ils ont rendu justice à leur zèle et à leur bonne conduite en tout point depuis la Révolution. L'assemblée coloniale les a délivrés de la tyrannie qui pesait sur eux ; mais elle ne s'est pas crue suffisamment autorisée pour statuer Définitivement sur l'état civil de cette classe de citoyens.il lui a paru que la solution de celte difficulté tenait à des considérations majeures dépendantes du parti qui serait pris pour nos autres colonies, et que l'Assemblée nationale pouvait seule décider. Cette classe d'hommes s'est soumise avec résignation à attendre le prononcé de la métropole, et s'est même abstenue du droit de voter pour l'élection des corps municipaux. Je suis chargé expressément de mettre sous vos yeux les preuves de leur modération, de faire valoir tous les motifs qui peuvent intéresser pour eux et de vous supplier de leur part de statuer sur leur sort de la manière la plus favorable.
Après une déclaration aussi solennelle, me serait-il permis de garder le silence sur le projet de décret qui vous est présenté par la réunion de 4 comités, et dont le résultat est une contradiction solennelle avec vos principes les plus bienfaisants et conséquemment un renversement de votre Constitution. En effet, le projet vous invite en quelque sorte à frapper de mort civile une classe nombreuse de citoyens ; il tend à créer un tribunal, si je puis m'exprimer ainsi, de 29 juges qui sont en même temps parties pour prononcer nécessairement que 100 mille citoyens très libres n'auront d'autre part dans la communauté que d'en acquitter les charges. (Applaudissements.) Car s'il fallait prendre une résolution contraire, c'est-à-dire suivant les principes de l'éternelle justice; à quoi servirait ce tribunal, si ce n'est à vous dire que vous avez décrété tout ce qui convient à la dignité de l'homme. Dans le premier cas, ce tribunal est dangereux, il est inconstitutionnel. Dans le second, il est inutile.
Par quelle fatalité veut-on que la France libre fasse seule une exception sur les gens de couleur, tandis que les Anglais, les Espagnols et les Portugais, qui possèdent des colonies bien plus étendues et plus peuplées que les nôtres, n'ont jamais eu l'idée de priver celte classe d'hommes des droits de citoyens actifs. (Murmures.) En 1775, un mulâtre était maire au Sénégal, lorsqu'il appartenait aux Anglais. Chez les Portugais, des évêques et des prêtres nègres y célèbrent la messe avec les prêtres européens ; les blancs et les noirs y remplissent les fonctions d'officiers municipaux et autres, sans autre distinction que leurs vertus. (Applaudissements; murmures.) A-t-on jamais ouï dire qu'il en ait résulté des maux tels que les députés de nos colonies veulent nous les dépeindre? Nous n'aurons plus de colonies, crie-t-on sans cesse, si vous y promulguez les droits de l'homme. Eh! l'exemple de nos voisins ne suffit-il pas pour détruire cette vaine terreur ? Quoi ! les gens de couleur seront-ils sans connaissance des obligations que leur impose la société ?N'ont-ils pas tout à gagner à être bons citoyens et à soutenir vos droits, qui seront les leurs? S'ils vous ont montré un siècle et demi de patience et de soumission, voyez ce qu'ils deviendront, une fois parvenus à cette égalité que la nature commande impérieusement, et qu'elle leur accordera malgré toutes les clameurs des ennemis de la liberté.
Mais qu'il me soit permis d'offrir à l'Assemblée nationale un grand exemple de justice, digne du créateur, comme vous l'a dit M. de Tracy. Rap-pelez-vous ces conquérants du nouveau monde qui ont fait disparaître des millions d'individus, vrais propriétaires du terrain, dont on veut que vous mutiliez l'image dans la personne des gens de couleur qui habitent le même climat : n'en doutons point, il existe encore parmi eux de vrais descendants des premiers habitants des Antilles, et vos 5 comités viennent vous proposer de perpétuer les crimes qui ont fait disparaître toute une génération de ces îles !
[page 59]
M. de La Galissonnière.
Il n'en existe pas un seul à Saint-Domingue.
M. Monneron.
On me reproche que ce que je viens de dire n'est pas exact. J'ai dit que tout le sang de cette génération avait disparu de ces îles; mais j'ai ajouté que le sang de cette génération circulait encore dans les veines de ces gens de couleur libres. (.Murmures à droite.)
Non, ce projet insensé et barbare ne trouvera point de "place dans votre Code: au contraire, vous répandrez sur ces colonies les fruits précieux de la liberté que le peuple français vient de conquérir, vous imiterez ces rois d'Espagne qui, pour contenir le génie dévastateur des gouverneurs des Indes Occidentales, firent une loi qui assure aux indigènes de l'Amérique les droits de citoyens, et prononce que lèur 'liberté ne pourra jamais être attaquée ;. et pour leur assurer ces.droits incontestables, par toute autre passion que l'avarice et la cupidité, ces' rois ont établi la plus belle charge de l'humanité, celle de protecteurs des Indiens. L'orgueil aveugle les hommes jusqu'au point de méconnaître leur intérêt et leur propre sûreté.
En effet, il serait facile de fixer l'époque où les gens de couleur seront assez nombreux pour dire aux Européens, et c'est le cas le plus favorable: Retirez-vous dans votre patrie, si vous persistez à nous contester les droits de l'homme: vous êtes des passagers sur notre sol, de véritables pèlerins dont les générations présentent depuis nombre d'années le même résultat, tandis que nous multiplions dans ce climat suivant les commandements du créateur, dans un climat que la providence a créé pour nous, et dans une telle progression qu'il vous amènera nécessairement dans notre dépendance; si vous voulez soutenir un ,privilège qui contraste avec les règles les plus saines de la morale et dé l'éternelle justice. »
Il est encore temps de prévenir ces malheurs et l'Assemblée nationale ne voudra pas scandaliser l'univers par l'admission d'un projet qui, s'il était possible de l'exécuter, riverait à jamais les fers de 100 mil lé citoyens nés libres et devant jouir de tous les bienfaits de la société. Ainsi l'intérêt général, surtout celui des colons, méfait conclure à supplier l'Assemblée nationale de prononcer la question préalable sur le projet de décret présenté par les 5 comités réunis, à adopter, celui de M. Barrère, avec cet amendement : « sans rien préjuger sur l'état des affranchis. »
(L'Assemblée décrète l'impression du discours de M. Monneron.)
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angêly) paraît à la tribune.
M. Legrand.
Je demande que la discussion soit fermée. (L'Assemblée ferme la discussion.)
M. Madier de Montjau.
Je demande la parole.
M. le Président.
Monsieur, je ne vous l'accorde pas. .
M. Madier de Montjau.
Eh bienl je la prends.
M. le Président.
Je vous rappelle à l'ordre.
M. Madier de Montjau parle dans le tumulte.
M. le Président.
Je réclame l'autorité de l'Assemblée pour imposer silence à M. Madier de Montjau. {
Plusieurs membres demandent la priorité, les uns pour le projet du comité, les autres pour celui de M. Barrère.
M. Bégouen.
Je demande la priorité pour la rédaction de M. Moreau de Saint-Méry. Dans la position où vous vous êtes mis, je déclare que... (Murmures prolongés.)
M. le Président.
Nous sommes arrivés au terme de la délibération. Les murmures ne serviraient qu'à nous faire perdre un temps considérable. On va lire les projets de décret dans l'ordre où ils ont été présentés. C'est dans cet ordre que je mettrai la priorité aux voix. |
M. Madier de Montjau.
L'appel nominal a eu lieu hier:sur la question de savoir s'il y a lieu à délibérer sur le projet des comités : le résultat a été affirmatif. C'est donc sur le projet que la délibération doit s'établir.
Un de MM. les secrétaires fait lecture des différents projets de décret proposés.
M. Rœderer.
J'en ai un à présenter: « Les hommes de couleur libres, nés de père et mère libres, et réunissant les conditions nécessaires pour obtenir la qualité de citoyen actif, jouiront de tous les droits attachés à cette qualité. »
M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély).
Je demande aussi à lire une rédaction : « L'Assemblée nationale confirme les assemblées coloniales actuellement existantes; elle déclare que les hommes libres de couleur et nègres libres, propriétaires et contribuables, ont le droit de jouir des droits de citoyens actifs lorsqu'ils rempliront les conditions prescrites ou à prescrire pour en régler l'exercice (Murmures...) dans les différentes parties de l'Empire ».
Voix diverses : Le projet de M. Barrère !,— Le projet de M. Rœderer ! — Le projet du comité!
M. le Président.
La priorité ne me paraît plus réclamée en ce moment que pour le projet du comité, et d'un autre côté pour celui de M. Barrère.
A gauche : Non I non ! pour M. Rœderer I
M. l'abbé Grégoire.
J'ai donné une rédaction et je réclame pour elle. (Murmures.) ;
M. Moreau de Saint-Méry.
Le projet des comités ne peut plus remplir le vœu des colonies, parce qu'il faut qu'on s'explique clairement sur les esclaves. Je demande la priorité pour mes articles ; ils ne sont que des amendements à ceux du comité.
Plusieurs membres : Vous présenterez votre projet en amendement.
M. Moreau de Saint-Méry.
En ce cas, j'appuie la priorité pour le projet du coopté. .
[page 60]
M. de Cazalès.
La délibération de la priorité doit d'abord porter sur le projet du comité.
(L'Assemblée, consultée, accordera priorité au projet des comités).
Plusieurs membres ; C'est la même majorité qu'hier !
M. le Président.
L'article 1er du projet des comités est ainsi conçu :
« L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes ne pourra être faite par le Corps législatif pour les colonies que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales. »
M. Lucas.
Je demande qu'après ces mots : « sur l'état des personnes », on ajoute ceux-ci : « non libres».
(La question préalable!)
M. Lanjuinais.
Je demande qu'on dise : « sur l'état des esclaves ». (Murmures.)
M. Rewbell.
Il faut dire : « sur l'état des personnes non libres, autres que celles qui sont nées de père et mère libres. »
M. Moreau de Saint-Méry.
Vous savez , Messieurs, quels effets ont produit, et dans cette Assemblée et dans les colonies, les doutes élevés sur la rédaction de l'article 4 des instructions du 28 mars; le moment est venu où il est indispensable de s'expliquer clairement, d'une manière qui ne permette plus de doutes. Il ne faut donc plus parler de personnes non libres ; que l'on dise tout simplement des esclaves : c'est le mot technique. (Murmures.)
En proposant ce changement de rédaction, je n'ai pas la faiblesse d'abdiquer ce qui est relatif aux hommes de couleur ; je demande également l’initiàtive sur eux.
Voici donc mon amendement :
« L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des esclaves dans les colonies de l'Amérique ne pourra être faite par le Corps législatif que sur la demande formelle et spontanée ae leurs assemblées coloniales. »
M. Robespierre
J'ai une simple observation à faire sur l'amendement. Le plus grand intérêt, Messieurs, dans cette discussion, est de rendre un décret qui n'attaque pas d'une manière trop révoltante et les principes et l'honneur de l'Assemblée. (Murmures et applaudissements.) Dès le moment où, dans un de vos décrets, vous aurez prononcé le mot esclaves, vous aurez prononcé et votre propre déshonneur (Murmures et applaudissements)... et le renversement de votre Constitution. (Oui!.oui!)
Je me plains, au nom de l'Assemblée elle-même, de ce que, non content d'obtenir d'elle tout ce qu'on désire, on veut encore la forcer à l'accorder d'une manière déshonorante pour elle et qui démente tous ses principes. (Murmures et applaudissements.) Si je pouvais soupçonner que, parmi les adversaires des hommes de couleur, il se trouvât quelque ennemi secret de la liberté et de la Constitution, je crois qu'il n'a voulu servir que sa haine, lorsqu'on a voulu vous forcer à lever vous-mêmes le voile sacré et terrible que la pudeur note même dn législateur a été forcée de jeter et qu'elle doit respecter (Murmures et applaudissements)-,... je croirais que l'on a cherché à se ménager un moyen d'attaquer toujours avec succès vos décrets pour affaiblir vos principes, afin qu'on puisse vous dire un jour, quand il s'agira de l'intérêt direct de la métropole : Vous nous alléguez sans cesse la déclaration des droits de l'homme, les principes de la liberté; et vous y avez si peu cru, vous-mêmes, que vous avez décrété constitutionnellement l'esclavage. (Murmures.)
M. Lucas.
Je demande si les colons doivent délibérer; il est étonnant qu'on les laisse, interrompre un orateur qui exprime des sentiments qui doivent être dans le cœur de tous les citoyens.
M. Robespierre.
C'est un grand intérêt que la conservation de vos colonies; mais cet intérêt même est relatif à votre Constitution; et l'intérêt suprême de la nation et des colonies elles-mêmes est que vous conserviez votre liberté et que vous ne renversiez pas de vos propres mains les bases de cette liberté.Eh! périssent vos Colonies, si vous les conservez à ce prix. (Murmurés et applaudissements)... Oui, s'il fallait ou perdre vos colonies, ou leur sacrifier votre bonheur, votre gloire, votre liberté, je le répète : périssent vos colonies ! (Applaudissements.) Si les colons veulent par les menaces nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts (Murmures et applaudissements.),... je déclare, au nom de l'Assemblée, au nom de ceux des membres de cette Assemblée qui ne veulent pas renverser la Constitution; je déclare, au nom de la nation entière qui veut être libre, que nous ne sacrifierons pas aux députés des colonies qui n'ont pas défendu leurs commettants, comme M. Monneron ; je déclare, dis-je, que nous ne leur sacrifierons ni la nation, ni les colonies, ni l'humanité entière.
De tout ceci je conclus que le plus grand malheur que l'Assemblée puisse attirer non pas sur les citoyens de couleur, non pas sur les colonies, mais sur l'Empire français tout entier, c'est d'adopter ce funeste amendement proposé par M. Moreau de Saint-Méry. Tout autre projet, quel qu'il soit, vaut mieux que celui-là. Mais comme il est impossible de l'adopter sans adopter les inconvénients extrêmes que je viens de présenter, je demande que l'Assemblée déclare que les hommes libres de couleur ont le droit de jouir des droits de citoyens actifs. Je demande de plus la question préalable sur l'article du comité.
(...)
M. Moreau de Saint-Méry.
Il ne s'agit pas de se battre sur les mots; persuadé que les choses sont bien entendues, qu'elles le sont comme je les entends moi-même, je relire l'amendement du mot esclaves.
(L'Assemblée consultée décide qu'il y a lieu à délibérer sur l'article premier du comité.)
M. Poutrain.
L'article du comité renferme dans sa disposition deux sortes de personnes absolument différentes et sur lesquelles il est nécessaire de prendre une détermination différente. Au lieu de l'article du comité, je demande à substituer ces deux-ci :
» L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel :
» 1° Qu'aucune loi sur l'état des personnes non libres et sur l'état des affranchis ne pourra être faite, par le Corps législatif pour les colonies, que sur la demande précise et spontanée des assemblées coloniales ;
« 2° Qu'aucune loi sur l'état des personnes libres de couleur ne pourra être faite, par le Corps législatif pour les colonies, que sur l'avis des assemblées coloniales. »
Plusieurs membres : La question préalable !
(...)
M. Barnave.
Le comité distingue dans ce qui vous occupe deux choses séparées. L'une est relative à l'état des personnes non libres, et sur cet objet le comité a entendu proposer qu'aucune loi sur l'état des personnes non libres ne pût être faite pour les colonies, si ce n'est sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales.
Le second objet est relatif à l'état des hommes de couleur et nègres libres. Les comités demandent qu'il n'y soit rien statué jusqu'à ce que le Corps législatif ait reçu l'opinion provoquée des colonies; opinion qui serait exprimée par les commissaires réunis à Saint-Martin. Le Corps législatif statuerait sur la proposition de ce comité, et ensuite il ne pourrait être fait aucun changement à l'état politique des hommes de couleur et nègres libres, si ce n'est sur une nouvelle proposition des assemblées coloniales, laquelle nouvelle proposition ne pourrait être que spontanée.
C'est ainsi que les comités l'ont entendu : il ne s'agit pas en ce moment de poser cette dernière question. On courrait le danger de préjuger un objet par un autre-, et d'entraîner quelqu'un à opiner contré sa volonté. La première disposition se trouve dans l'article premier, en le modifiant conformément à ce qui a été demandé. J'adopte l'addition des mots personnes non libres et le remplacement du mot précise par le mot spontanée. [page 62] La seconde disposition se trouvera dans l'article 14 du comité, amendé par M. Moreau de Saint-Méry. Au reste, si l'on veut que nous nous entendions, si l'on ne veut égarer aucune pensée, aucune volonté, il faut mettre simultanément les deux articles aux voix. (Aux voix! aux voix!)
Je demande au nom des comités, ou du moins au mien, que ces deux articles soient mis ensemble et simultanément aux voix.
M. Buzot.
De quoi s'agit-il entre nous?...
Plusieurs membres : La discussion est fermée.
(L'Assemblée, consultée, décide que M. Buzot ne sera pas entendu.)
M. le Président.
Je mets aux voix la rédaction de M. Poutràin.
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur cette rédaction.)
M. le Président.
La question préalable a été proposée sur l'amendement qui consiste à ajouter a l'article 4cr, après ces mots : « sur l'état des personnes », ceux-ci : « non libres ».
(L'Assemblée décrète, au milieu des applaudissements, qu'il y a lieu à délibérer sur cet amendement et adopte ensuite cet amendement.)
Voix diverses : Aux voix la motion de M. Bar-nave ! — L'ordre du jour ! — La division !
M. Alexandre de Lameth.
Je demande la parole pour combattre la proposition de l'ordre au jour et pour prouver que l'Assemblée doit dire clairement et nettement ce qu'elle veut.
On a discuté pendant trois jours la question de savoir si 'l'Assemblée accorderait, dès à présent, les droits de citoyens actifs aux hommes de couleur ou si elle attendrait sur cet objet la proposition provoquée des colonies. Le premier article est relatif à une autre question, à celle des hommes non libres. On veut faire adopter celui-ci et rejeter l'autre.
Ce n'est pas là. la question ; il faut que l'on dise clairement ce que l'on veut. Les quatre comités ont proposé, nous avons soutenu qu'il était impolitique et dangereux de prononcer, qu'il fallait que le comité de Saint-Martin eût l'initiative. Nous avons pensé qu'à la mesure de faire prononcer le Corps législatif, après la proposition du comité de Saint-Martin, était attaché l'intérêt national (Murmures à droite; applaudissements à gauche.).... Je ne retarderai pas la délibération, mais au moins faut-il qu'elle soit franche et claire. Si on veut que le comité de Saint-Martin n'ait pas l'initiative, qu'on le dise. Je ne combats point la division. Certainement, il faut que chacun puisse opiner sur une question simple et non complexe.
Je demande donc que, après avoir délibéré sur la première question, on délibère immédiatement sur la seconde qui se trouve dans l'article 14.
M. le Président.
Voici, avec les amendements, la rédaction de l'article 1er du comité:
Art. ler.
« L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes non libres ne pourra être faite par le Corps législatif, pour les colonies, que sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales. » (Adopté.)
M. Barnave.
Voici la manière dont je propose de rédiger l'article 14 du projet qui deviendrait alors le second; le sens que j'y vois, c'est que le Corps législatif prononcera sur la proposition d'un comité formé de commissaires de toutes les assemblées coloniales actuellement existantes : « Quant à l'état politique des hommes de couleur et nègres libres, il y sera statué par le Corps législatif sur la proposition d'un comité composé de membres de toutes les assemblées coloniales d'Amérique, actuellement formées ; et quand le Corps législatif aura prononcé, ainsi qu'il lui paraîtra convenable, aucun nouveau changement à l'état des hommes de couleur et nègres libres ne pourra être décrété par les législatures, si ce n'est sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales. »> (Murmures et applaudissements.)
Voix diverses : Aux voix! aux voix! — La question préalable ! — L'ajournement !
M. Rœderer.
Je demande à faire une observation. (A droite : Non ! non I aux voix !).j.. Je demande l'ajournement à demain. (Applaudissements. )
(Après deux épreuves, l'ajournement est repoussé.)
M. le Président.
On a demandé la question préalable sur la rédaction de M. Barnave pour l'article 14.
Plusieurs membres demandent que la discussion ne soit pas ouverte sur cette rédaction.
M. le Président.
Je consulte l'Assemblée.
{La première partie de l'épreuve a lieu.)
M. de Tracy.
Je demande la parole sur la manière de poser la question.
Plusieurs membres : La question est mal posée !
M. le Président.
La délibération est commencée ; vous ne pouvez avoir la parole.
M. de Tracy.
Je demande à parler contre vous.
M. le Président.
M. Barnave a fait une proposition sur laquelle on a demandé de ne pas ouvrir la discussion ; je n'ai pu mettre aux voix que ce qu'on m'a demandé. (Bruit prolongé.)
M. de Tracy.
J'ai dit,....
A droite : A l'ordre ! A l'Abbaye !
M. Lucas.
Il faut lever la séance.
M. Delavigne.
L'Assemblée nationale (A l'ordre! à l'ordre!)... vient de rejeter l'ajournement, il en résulte qu'il faut délibérer. Mais il n'en est pas moins évident qu'en décidant l'article 14 l'Assemblée 6e voit forcée de préjuger des objets qui devraient être antérieurement décrétés. La proposition de M. Barnave consiste à faire décider que l'Assemblée ne statuera sur l'état des personnes libres que sur la proposition du congrès de Saint-Martin. Mais y aura-t-il un congrès? On pourrait être d'avis qu'il n'y en eût pas. (On applaudit.) On pourrait penser qu'il serait préférable de laisser chaque colonie manifester [page 63] individuellement son vœu. M. Barnave n'a sûrement pas l'intention de faire décréter sans connaissance de cause.
Je demande donc qu'on suive l'ordre des articles et qu'on lise l'article 2. (Applaudissements.)
Plusieurs membres : Monsieur le Président, levez la séance. (Bruit prolongé.)
M. le Président.
Je lèverai la séance si le bruit continue.
M. Buzot.
Je dis, Monsieur le Président, que les observations.....
Un grand nombre de membres se lèvent et demandent que la séance soit levée. (Bruit prolongé.)
M. le Président.
Je mets aux voix si la séance sera levée. - (L'épreuve a lieu.)
La grande majorité des membres du côté gauche quittent leurs places.
A droite : La séance n'est pas levée ! L'épreuve est douteuse l (Bruit.)
A gauche : La séance est levée ! Prononcez le décret, Monsieur le Président !
A droite : Non ! non ! elle n'est pas levée!
M. le Président se couvre et quitte le fauteuil. (Il est six heures.)
M. Foucault-Lardimalie.
C'est une abomination; vous vous jouez des intérêts que la nation vous a confiés. La séance n'est pas levée; restez, Messieurs, restez !
A droite : La séance n'est pas levée ! Le décret n'est pas prononcé; il faut que M. le Président revienne !
A gauche : M. le Président a prononcé le décret. C'est le bruit que vous avez fait qui vous a empêché d'entendre! (Bruit.)
A l'extrême droite : En place l en place 1 nommons un président et continuons la séance I
Les membres du côté gauche restent au milieu de la salle.
M. Lucas.
Allez, Messieurs, la séance est levée.
A l'extrême droite : En place ! en place ! un exprésident !
Plusieurs membres du côté droit sortent de la salle et sont bientôt suivis du reste de l'Assemblée.
(Il est six heures dix minutes.)
(2 notes à propos du « périssent » de Robespierre :
- en réaction au discours catastrophiste de De Lattre le 7 mai
- possible influence du passage de l’article « Traite » de l’Encyclopédie)
______ __________
14 mai 1791
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/26/2/4/
(présidence d'André, comme le 13)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f72
lettre Raimond.
On demande à les faire entrer
p65
discours Raimond p66
Dans l'intérieur, c'est la classe la plus forte pour éviter la rébellion des esclaves contre les blancs. Lorsque les esclaves fuient, qui va les chercher'? Qui les ramène? Qui s'expose à les combattre? Les hommes de Couleur.
(...)Les nègres n'ont-ils pas autant à se plaindre d'eux que des blancs?
(...)(à la question de l’intérêt de conserver l'esclavage.
;;;
M. le Président.
Voici l'article 14 du projet dé décret des comités sur lequel l'Assemblée a maintenant à délibérer :
« Quant à l'état politique des hommes de couleur et nègres libres, il y sera statué par le Corps législatif, sur la proposition d'un comité ^composé de membres de toutes les assemblées coloniales : d'Amérique actuellement formées - et quand le Corps législatif aura prononcé ainsi qu'il lui paraîtra convenable, aucUn nouveau changement à l'état des hommes de couleur et nègres libres ne pourra être décrété par les législatures, si ce n'est sur la demande formelle et spontanée d«s assemblées coloniales. »
Les comités ont eux-mêmes retiré de la rédaction primitive ce qui avait rapport au comité de Saint-Martin.
Plusieurs membres : La question préalable!
M. Barnave.
La question est mal posée. Dans la nouvelle rédaction que nous avons proposée hier ( t dont M. le Président vient de donner lecture, nous avons supprimé les mots « Comité de Saint-Martin », et pâr conséquent la désignation du lieu oû le comité devait se réunir ; mais nous y avons conservé le principe de la réunion d'un comité des assemblées coloniales. (Interruption„)
15h30 fin disc , pas voté
séance soir 18h pas de discussion
15 mai 1791
https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/26/2/6/
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1887_num_26_1_10889_t1_0089_0000_11
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f93
p89 lettre raimond
M. le Président fait donner lecture par un de MM. les secrétaires d'une nouvelle lettre des commissaires des citoyens de couleur, ainsi conçue :
« Monsieur le Président,
« Après être restés, jusqu'à ce jour, sous l'oppression des colons blancs, nous osions espérer que nous ne réclamerions pas en vain auprès de l'Assemblée nationale des droits qu'elle a déclaré appartenir à tous les hommes.
« Si nos justes réclamations, si les malheurs, si les calomnies que nous avons éprouvés jusqu'à ce jour, sous la législation des colons blancs, si enfin les vérités que nous avons eu l'honneur de présenter hier à la barre de l'Assemblée ne peuvent l'emporter sur. les prétentions injustes des colons blancs, celles de vouloir être sans notre participation nos législateurs, nous supplions l'Assemblée de ne pas achever de nous dépouiller du peu de liberté qui nous reste, celle de pouvoir abandonner un sol arrosé du sang de nos frères (Murmures au centre et à droite ; applaudissements à gauche.)... et de nous permettre de fuir le couteau tranchant des lois qu'ils vont préparer contre nous.
« Si l'Assemblée se décide à porter une loi qui fasse dépendre notre sort de vingt-neuf blancs, nos ennemis décidés, nous demandons d'ajouter par amendement au décret qui serait rendu dans cette hypothèse, que les hommes libres de couleur pourront émigrer avec leur fortune, sans qu'ils puissent être inquiétés ni empêchés par les blancs (Murmures et applaudissements.).
« Voilà, Monsieur le Président, le dernier retranchement qui nous restera pour échapper à la vengeance des colons blancs dont nous sommes menacés, pour n'avoir cessé de réclamer auprès de l'Assemblée des droits qu'elle avait déclaré appartenir à tous les hommes. (Applaudissements a gauche et dans les tribunes.)
« Nous sommes, avec respect, etc.,
« Signé : Raymond. »
-
longues embrouilles pour fermer la discussion, discours barnave
p94 robespierre https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49541x/f98
détruit barnave, et evoque l'art2
;;;
M. Lavie, secrétaire, donne lecture de la rédaction proposée sous forme d'amendement par M. Rewbell et ainsi conçue :
« L'Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l'état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies ; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteront ; mais que les gens de couleur nés de père et mère libres seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s'ils ont d'ailleurs les qualités requises. »
A droite : La question préalable !
A gauche : Aux voix ! aux voix !
(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'amendement de M. Rewbell.)
M. Robespierre.
Je demande, par sous-amendement, qu on retranche de la rédaction de M. Rewbell la disposition qui porte que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l'état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies.
Il faut que tous les hommes libres de couleur jouissent de tous les droits qui leur appartiennent. (Murmures.)
Voix diverses : La question préalable ! — L'ordre du jour l
Plusieurs membres : L'amendement n'est pas appuyé !
Au centre : Si I si !
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur le sous-amendement de M. Robespierre.)
Maury
(roederer quelle horreur
(prouver plutot esclav Lucas
M. Foucault-Lardimalie.
Je demande que tout ce débat soif inséré dans le procès-verbal, afin qu'il soit constaté que nous avons constamment fait nos efforts pour sauver les colonies, que nous n'avons rien obtenu et que c'est vous, Monsieur le Président, qui les perdez aujourd'hui. (A droite : Oui ! oui !)
M. le Président.
Les sous-amendements ayant été rejetés par la question préalable, je mets aux voix l'amendement principal de M. Rewbell; il est ainsi conçu :
e« L'Assemblée nationale décrète que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l'état politiqué des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsisteront ; mais que les gens de couleur, nés de père et de mère libres, seront admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s'ils ont d'ailleurs les qualités requises. »
(L'épreuve a lieu ; le côté droit crie : Point de voix! Le côté gauche et les tribunes applaudissent.)
M. le Président prononce : L'Assemblée nationale a décrété l'article de M. Rewbell.
M. d'Aubergeon de Murinais.
Non, Monsieur le Président, l'Assemblée nationale n'a pas décrété, et nous réclamons l'appel nominal. (A droite : Oui I oui ! nous le réclamons tous:)
M. le Président.
On réclame l'appel nominal. (Murmures à gauche.)
A gauche ; Il n'y a pas de doute !
A droite : Le doute existe tel qu'hier ! L'appel nominal !
M. le Président.
Je vais consulter l'Assemblée pour savoir s'il y a du doute et s'il faut procéder à l'appel nominal,
(L'Assemblée, consultée, décide à une grande majorité qu'il n'y a pas de doute et qu'il n'y a pas lieu de procéder a l'appel nominal.) (Applaudissements prolongés à gauche et dans les tribunes.)
M. le Président annonce l'ordre du jour de demain et lève la séance à trois heures et demie.
(bizarre. suit Rewbell, tout en bloc.
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Marat Amis du peuple.
18 mai 1791 N°462 - p2-8
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10467684/f2.item
Chaque jour voit éclore quelque noir complot de ces conjurés contre la liberté publique. Chaque jour voit éclore quelque attentat contre la liberté individuelle. Chaque jour le législateur porte quelque nouvelle atteinte aux droits de l'homme & du citoyen. Chaque jour il attente à ceux de la nation. Chaque jour il sappe les fondemens sacrés de la constitution, & détruit de ses mains son propre ouvrage. Qui le croiroit ? au sein de ce sénat, où l'homme fut d'abord rétabli dans ses droits, & où la liberté fut proclamée son appanage naturel, on a vu bientôt après consacrer l'esclavage des malheureux Africains transplantés dans nos colonies par la cupidité des Européens, & asservis à la glèbe par la barbarie des colons. Aujourd'hui on vient de voir l'avarice cachée sous le voile du civisme, s'agiter pour pousser les pères conscrits à fouler aux pieds les droits des métis de nos colonies, sous prétexte de prévenir une scission des blancs avec la métropole, la ruine de notre commerce & de notre marine.
On auroit pu se méprendre à ces fausses démonstrations [page 3] de zèle, si l'on n'avait reconnu sous le masque des députés qui les faisoient éclater, autant de colons, de planteurs & propriétaires, qui prêchoient pour leur saint Tels sont les sieurs Moreau, dit de Saint-Méry, Dillon, Curt, Gouy d'Arcy, Cocherel, Thebaudières, Regnaud, Perigny, Geral, Malouet, Clermont-Tonnère & Barnave, dont le civisme s'est évanoui devant les intérêts de la riche héritière dont il doit être bientôt l'époux.
La discussion sur le sort des hommes de couleur, qui réclament les droits de citoyens actifs que leur contestent les hommes blancs, mais que l'assemblé ne peuvent leur refuser, & qu'elle n'auroit pas dû laisser mettre en question, a offert des particularités remarquables. Tout ce que l'astuce & la cupidité peut inspirer de sophismes pour conserver d'injustes prérogatives & d'allarmes pour ne pas éprouver de résistance, a été employé tour-à-tour par Moreau, Curt, Des-Claibes, Roussillon, Boutrin, Martineau, Rostaing, Malouet. Après avoir employé le mensonge pour enfler le nombre des hommes blancs, diminuer celui des hommes de couleur, & tromper l'assemblée sur le voeu de la majorité des colons, ils s'écrioient tour-à-tour : c'en est fait, messieurs, tout est perdu, si vous n'accordez pas l'initiative aux caloniers pour leur nouvelle constitution : hâtez-vous de rendre les blancs maîtres absolus du fort des métis, ou ils sont prêts à se séparer de la métropole ; tremblez de provoquer une scission qui entraîneroit avec la perte du commerce de la France, la ruine de sa marine, & celle d'une partie de ses habitans. Le croira-t-on? Barnave lui-même n'a pas eu honte de se signaler dans cette honteuse lutte : on l'a vu, sourd à la [page 4] voix de la raison, renoncer aux principes de justice, de liberté & d'égalité qu'il avoit défendus tant de fois, ou plutôt on l'a vu bravant le ridicule de l'inconséquence, admettre ces principes pour en rejeter l'explication, & s'autoriser de l'exemple des nations injustes, pour consacrer parmi nous leurs injustices, laisser suspecter son honneur, & ne pas rougir d'avoir pris les couleurs des ennemis de la patrie. O sordide intérêt! de quels crimes ne deviens-tu pas la source, si les coeurs purs ont tant de peine à se défendre de tes amorces, & si tu parviens à métamorphoser en vils sophistes, des apôtres de la vérité?
Le projet du comité, défendu avec tant d'acharnement par les députés des colonies & ceux qui avoient les mêmes intérêts a soutenir, a été combattu avec énergie par MM. Bouche, Grégoire, Pethion & Robespierre : tout ce que l’éloquence peut alléguer de plus fort à l'appui de la justice & de la liberté, ils l'ont fait valoir avec énergie pour faire triompher la cause des métis. Pourra-t-on le croire? On a vu dans ces discussions importantes les Bouhot, les Dupont, les Renaud, les Maury, renoncer à leur rôle de valets du despote pour plaider la cause de la liberté. Parmi les orateurs qui se sont distingués, n'oublions pas M. Raymond, celui des députés métis [page 5] qui a porte la parole. Peut-être son discours n'étoit-il pas le plus brillant : mais c'etoit à coup sûr le plus instructif, le plus fort de choses & le plus adroit. Après avoir fait sentir combien les services que les colonies & la métropole retirent des métis, soit dans la paix, soit dans la guerre, sont au-dessus de ceux que rendent les blancs ; ce qui doit facilement se présumer par le don patriotique de six millions qu'ils ont fait : il a déclaré hautement que si le plan du comité venoit à passer, les colons de couleurs étoient déterminés à ne plus souffrir le joug tyrannique des blancs. Ce discours a été appuyé le lendemain d'une lettre dont le président a donné lecture à la fin de la discussion, & qui n'a pas peu contribué à ramener l'assemblé à des sentimens plus équitables. Après avoir manifesté les vives inquiétudes sur le sort de les malheureux frères où l'a jeté l'esprit qui éclatoit dans l'assemblée, M. Raimond laisse entrevoir que si la justice & la raison ne triomphent pas de l'orgueil & de l'intérêt, il ne leur reste plus d'autre moyen d'échapper â la vengeance des blancs que d'abandonner une terre si souvent arrosee de leur sang par la main de leurs persecuteurs, & d'emporter avec eux leurs propriétés : en conséquence, il borne ses réclamations à demander la sauve-garde de la loi pour les émigrans. Peu après la lecture de cette lettre, la discussion a été terminée par le décret qui suit.
« Le corps législatif ne délibérera jamais sur [page 6] l'état politique des gens de couleur, qui ne seroient pas nés de père & de mère libres, sans le voeu préalable, libre & spontané des colonies : les assemblées coloniales subsisteront, mais les gens de couleur nés de père & mère libres seront admis dans toutes les assemblées coloniales & paroissiales futures, s'ils ont d'ailleurs les qualités requises ».
Ce décret si outrageant pour l'humanité, mais beaucoup moins qu'il ne l'auroit été, sans la crainte de voir émigrer nos plus richer colons, & sans la terreur dont les nouvelles d'Avignon avoient frappé les contre-révolutionnaires qui mènent le sénat, n'aura aucun des effets que s'en est promis le législateur. Au lieu de concilier les deux partis, il les mécontentera l'un & l'autre. Déjà les députés des blancs, transportés de rage, ont quitté l'assemblée, bien résolus de ne plus y paroître. Bientôt les hommes de couleur nés de parens asservis, les noirs eux-mêmes instruits de leurs droits, les réclameront hautement, & s'armeront pour les recouvrer, si on les leur dispute. Delà toutes les horreurs de la guerre civile, suites nécessaires des fausses mesures prises par les pères conscrits. Le devoir leur commandoit impérieusement de ne pas se départir des règles de la justice & de l'humanité, tandis que la sagesse leur conseilloit de préparer par degrés le passage de la servitude à la liberté. Leur premier soin devoit donc être de faire passer aux colons blancs & métis les ouvrages les mieux faits contre l'esclavage, & d'adoucir la cruauté du sort des malheureux qui y sont condamnés. Ils auroient dû ensuite prendre soin de les instruire, d'ordonner chaque année l'affranchissement d'un certain nombre d'esclaves, & de faire servir cet acte de justice [page 7] à récompenser ceux qui se seroient le plus appliqués à le mériter. Enfin, s'ils avoient jugé convenable d'accorder quelque indemnité aux propriétaires de ces insortunés, qui servent de bêtes de somme dans le nouveau monde, ils l'auroient trouvée, soit dans l'exemption de certains impôts pour un tems déterminé, soit dans certaines sommes payées pour chaque affranchi : emploi des deniers publics mille fois mieux entendu que l'acquittement des brevets de retenue, & autres fausses créances de l'état. Des actes de justice & de sagesse aussi éclatans, auroient couvert de gloire l'assemblée nationale de France, & forcé les puissances étrangères à les imiter. Mais cette gloire est réservée à une nouvelle législature.
Nous pouvons donc enfin espérer de la voir entiérement renouvellée. Nous y perdrons peut-être quelques députés intègres, Grégoire, Péthion, et sur-tout l'incorruptible Roberspierre ; si tant est que la cabale ministérielle ne les eût pas écartés pour toujours ; mais aussi nous n'aurons plus à redouter ces représentans d'ordres privilégiés qui n'éxistent plus, ennemis implacables de la liberté ; ces ju geurs royaux, ces robins oppresseurs, & sur-tout ces juristes rapaces, infidèles représentans du peuple qu'ils ont trahi & dépouillé de ses droits pour les vendre au despote : ridicules, mais redoutables tyranneaux dont l'ambition criminelle ne tendoit à rien moins qu'à perpétuer dans leurs mains la puissance législative, & à cimenter notre servitude, notre misère. Il faut voir dans le discours de Thouret, les efforts qu'il a fait pour faire passer le projet de décret ; il faut voir avec qu'elle impudence il pressoit l'assemblée de ne pas priver la nation des lumières d'hommes instruits, qui seuls [page 8] connoissoient le jeu de la machine qu'ils avoient organisée, d'hommes intègres dont la vertu avait été éprouvée ; sanglante irronie qui prouve à quel point l'infâme comité de constitution se joue du public. Pour confondre ce projet désastreux, Robespierre n'a eu besoin que d'un mot ; à peine a-t-il eu achevé de parler que la discussion a été fermée, malgré les clameurs de Chapellier & de Beaumetz. Comment concilier ce triomphe avec l'inconsidération ou plutôt les outrages que ce digne orateur avoit eu à dévorer trois jours auparavant, de la part des ennemis de la liberté? Et à quoi l'attribuer, qu'à la terreur, dont les nouvelles d'Avignon venoient de frapper les contre-révolutionnaires? Ils tremblent les lâches, que les feux de la guerre civile ne s'étendent de toutes parts, & ne le dévorent. Aveugles Parisiens, voici le moment de vous relever : serez-vous sourds à la voix des Avignonois, des Dauphinois & des Provenceaux qui vous appellent à la liberté : & tandis qu'ils ont les armes à la main pour venger les droits de l'homme & de la nation, méconnus par vos législateurs, courberez-vous encore vos têtes sous le joug infâme des frippons municipes, de vos infidèles mandataires?
MARAT, l'Ami du Peuple.