18 mars - Hugo
Vite fait, Victor Hugo, pour le caractère de la journée. Le 18 mars 1871, Hugo enterre son fils Charles décédé à Bordeaux. Le cortège traverse Paris (de la gare d'Austerlitz au cimetière du Père-Lachaise, en passant par Bastille) .
Hugo ira ensuite en Belgique, d'où il ne recevra que les calomnies versaillaises qui impacteront sa perception. Ici, il est témoin direct.
Hugo Année terrible- mars
L'ENTERREMENT
Le tambour bat aux champs et le drapeau s'incline.
De la Bastille au pied de la morne colline
Où les siècles passés près du siècle vivant
Dorment sous les cyprès peu troublés par le vent,
Le peuple a l'arme au bras ; le peuple est triste ; il pense ;
Et ses grands bataillons font la haie en silence.
Le fils mort et le père aspirant au tombeau
Passent, l'un hier encor vaillant, robuste et beau,
L'autre vieux et cachant les pleurs de son visage ;
Et chaque légion les salue au passage.
O peuple ! ô majesté de l'immense douceur !
Paris, cité soleil, vous que l'envahisseur
N'a pu vaincre, et qu'il a de tant de sang rougie,
Vous qu'un jour on verra, dans la royale orgie,
Surgir, l'éclair au front, comme le commandeur,
O ville, vous avez ce comble de grandeur
De faire attention à la douleur d'un homme.
Trouver dans Sparte une âme et voir un coeur dans Rome,
Rien n'est plus admirable ; et Paris a dompté
L'univers par la force où l'on sent la bonté.
Ce peuple est un héros et ce peuple est un juste.
Il fait bien plus que vaincre, il aime.
O ville auguste,
Ce jour-là tout tremblait, les révolutions
Grondaient, et dans leur brume, à travers des rayons,
Tu voyais devant toi se rouvrir l'ombre affreuse
Qui par moments devant les grands peuples se creuse ;
Et l'homme qui suivait le cercueil de son fils
T'admirait, toi qui, prête à tous les fiers défis,
Infortunée, as fait l'humanité prospère ;
Sombre, il se sentait fils en même temps que père,
Père en pensant à lui, fils en pensant à toi.
Que ce jeune lutteur illustre et plein de foi,
Disparu dans le lieu profond qui nous réclame,
O peuple, ait à jamais près de lui ta grande âme !
Tu la lui donnas, peuple, en ce suprême adieu.
Que dans la liberté superbe du ciel bleu
Il assiste, à présent qu'il tient l'arme inconnue,
Aux luttes du devoir et qu'il les continue.
Le droit n'est pas le droit seulement ici-bas ;
Les morts sont des vivants mêlés à nos combats
(...)