Jules Ferry à l’Hôtel de Ville
Jules Ferry "out of the loop" à l'Hôtel de Ville.
(Débute avec Duval et le XIIIe au taquet, comme d'hab.)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5438686v/f31.item
A ce moment nous entendîmes une forte canonnade. Je fis prendre des informations, et, pensant qu'on pouvait être inquiet de cette canonnade, je traduisis les informations que je venais de recueillir dans la dépêche suivante :
18 mars 1871.
Maire de Paris à préfet de police, guerre, affaires étrangères, intérieur, garde nationale.
Le canon que vous avez entendu ce matin et il y a une heure est celui des Gobelins. — Les gardes nationaux du prétendu général Duval ont tiré à blanc, mais ils ont des munitions.
Une quinzaine de pièces sont disposées autour de la mairie du 13e, dans la direction des avenues. — Le général Duval recrute les gamins du quartier, leur donne des pioches pour construire des tranchées.
Le quartier, à peu près dépourvu de troupes, appartient absolument au comité central et Duval y règne en maître.
— Trois gendarmes envoyés en ordonnance sont captifs dans la cour de la mairie.
Signé : JULES FERRY.
A dix heures du matin, j'envoie une nouvelle dépêche :
18 mars 1871.
Maire de Paris à garde nationale, place Vendôme.
Le maire du 13e arrondissement vient d'arriver; il demande où il peut s'adresser pour avoir un piquet et quel est le nouveau secteur; répondez-moi de suite.— D'après le maire, les canons sont moins nombreux que ne le portait le précédent rapport. — Pas d'écouvillons , munitions mouillées, rien de sérieux; mais à mon avis il faut veiller et envoyer là un bon piquet.
Signé: JULES FERRY.
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https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5438686v/f37.item
18 mars 1871, 2 h. 52 m. du soir.
Général Valentin à général Vinoy, guerre, intérieur, affaires étrangères, garde nationale de Paris.
La barrière d'Enfer est occupée par les insurgés.
Nous rencontrons ici un incident. Voici une dépêche du colonel Vabre, commandant l'Hôtel de ville, adressée au préfet de police.
18 mars 1871, 2 h. 50 m. du soir. (14h50)
Colonel Vabre à préfet de police.
On nous dit que la caserne Lobau va être évacuée. Qu'y a-t-il de vrai et que doit-on faire ?
En effet, à deux heures et demie, entrait dans mon cabinet un officier de gendarmerie de la caserne Lobau qui me dit : « Je viens de recevoir l'ordre d'évacuer la caserne, je ne comprends pas pourquoi. Si on l'évacue, elle sera prise immédiatement par les insurgés. » — C'est, Messieurs, la caserne qui est la plus rapprochée du quai; elle commande le petit jardin qui est situé derrière l'Hôtel de ville, et l'abandonner, c'était livrer l'entrée de la mairie de ce côté.
J'envoyai sur-le-champ la dépêche suivante au préfet de police :
18 mars 1871, 2 h. 50 m. du soir.
Mairie de Paris à préfet de police.
On fait évacuer la caserne Lobau. C'est comme si on livrait l'Hôtel de ville. Qui a donné cet ordre? C'est certainement un malentendu.
Signé : JULES FERRY.
À trois heures j'insiste et je précise :
18 mars 1871, 3 h. du soir.
Mairie de Paris à préfet de police.
Il y a 83 hommes dans la caserne Lobau, 40,000 cartouches impossibles à enlever. La caserne commande le jardin de l'Hôtel de.ville. Il vaudrait mieux en renforcer la garnison. Si on l'évacue on la livre à l'insurrection.
Je m'oppose à l'exécution de cet ordre évidemment irréfléchi.
Signé : JULES FERRY.
J'adressai en même temps au ministre de l'intérieur et au président du conseil que je croyais encore au ministère des affaires étrangères, mais qui n'y était plus, une dépêche ainsi conçue :
18 mars 1871, 3 h. 15 m. du soir.
Mairie de Paris à intérieur, à président du conseil, à affaires étrangères.
Un ordre général est donné d'évacuer les casernes. On a ainsi livré celle du Prince-Eugène.
Ordre aussi d'évacuer caserne Lobau. Je m'y oppose, c'est livrer l'Hôtel de ville et je ne subirai pas cette extrémité honteuse.
Vous devez garder l'Hôtel de ville et ses casernes qui sont une forteresse, ainsi que la préfecture de police.
Il semble qu'on perde la tête,
Signé: JULES FERRY.
18 mars 1871, 3 h. 30 m. du soir.
Général Valentin à colonel Vabre, qui commandait l'Hôtel de ville.
Le régiment de ligne qui nous gardait s'est-il replié? Et qu'avez-vous pour vous garder, abstraction faite de Lobau?
Je prends la plume et je réponds :
18 mars 1871, 3 h. 35 m. du soir.
Maire de Paris à préfet de police.
Nous gardons naturellement le 110e de ligne, n'ayant point l'intention de livrer l'Hôtel de ville. Quant aux 83 gendarmes de Lobau, ils ne peuvent vous être nécessaires et ils valent mieux que 500 soldats. Il faut absolument nous les laisser. »
Signé : JULES FERRY.
Voici la réponse du général Valentin :
18 mars 1871, 3 h. 54 m. du soir.
Général Valentin à mairie de Paris.
Gardez la garde républicaine de Lobau. Ce n'est que dans le cas où la troupe de ligne se replierait qu'il y aurait lieu d'évacuer la caserne.
A 4 heures 20, je reçus du général en chef la dépêche suivante qui m'enchanta parce qu'elle me donnait raison :
18 mars 1871, 4 h. 20 m. du soir.
Général en chef à préfet de police et mairie de Paris.
Qui donc a donné l'ordre d'évacuer casernes Lobau et Napoléon?
Ce n'est pas moi, je suis disposé à les faire renforcer.
Je répondis :
18 mars 1871, 4 h. 50 m. du soir.
Mairie de Paris à général Vinoy et à intérieur.
L'ordre d'évacuer était signé par le colonel de la garde républicaine. — Le général Valentin parlait de faire replier le 116e, qui est dans la caserne Napoléon. J'ai refusé formellement de laisser faire, sans quoi non-seulement Lobau mais Napoléon seraient livrées ; à cette heure Napoléon aurait besoin d'être renforcée, non comme nombre, mais comme esprit.
Signé : JULES FERRY.
Vient maintenant une dépêche circulaire du général Valentin au Gouvernement :
Circulaire de Paris.
18 mars 1871, 5 h. 20 m. du soir.
Général Valentin à général Vinoy, général Le FIô, général Paladines, président du gouvernement, affaires étrangères, intérieur, justice et maire de Paris.
Les casernes du Château-d'Eau et du faubourg du Temple ont été envahies sans résistance de la part des soldats qui ont livré leurs armes, et se répandent dans les rues en criant : Vive la République ! — Celle du Château- d'Eau est occupée par le 107e bataillon. Les armes paraissent servir à armer des mobiles et des soldats libérés.
On parle de projets d'attaque contre la préfecture de police, la Ville et la place Vendôme.
18 mars 1871, 5 h. 45 m. du soir.
Général Valenlin à généraux Vinoy, Le Flô, Paladines, président du Gouvernement, affaires étrangères, intérieur, justice et maire de Paris. (Circulaire.)
Les 82e et 131e bataillons semblent se diriger sur la préfecture avec des intentions hostiles. Je prends des préparatifs de défense ; on fait des barricades autour de Mazas.
18 mars 1871, 6 h. 20 m. du soir.
Général Valentin à généraux Vinoy, Le Flô, Paladines, président du Gouvernement, affaires étrangères, intérieur, justice et maire de Paris. (Circulaire.)
Le 194e cerne l'Hôtel de ville. Lobau a été renforcée d'une compagnie.
Vingt minutes avant, en effet, j'avais télégraphié ceci au Gouvernement :
18 mars 1871, 6 b. du soir.
Maire de Paris à intérieur, à garde nationale, à affaires étrangères.
La place de l'Hôtel-de-Ville est occupée par des bataillons hostiles, nous sommes cernés.
Signé : JULES FERRY
18 mars 1871, 6 h. 15 m. du soir.
Maire de Paris à préfet de police, à général Vinoy.
Les bataillons qui occupent la place sont peu nombreux; que les casernes tiennent bon; seulement la caserne Napoléon est attaquée par derrière.
Il y avait eu, en effet, une petite tentative qui n'a pas réussi.
Maire de Paris à préfet de Police, intérieur, président du Gouvernement, garde nationale, général Vinoy.
Le bataillon qui cernait l'Hôtel de ville, après avoir chargé ses armes et stationné quelque temps, se retire en criant. La caserne est en parfait état.
L'attaque avait été repoussée.
Voici maintenant la dépêche qui tomba sur nous comme un coup de foudre :
18 mars 1871, 6 h. 10 m. du soir.
Préfet de police à général Vinoy, guerre, président du pouvoir exécutif, intérieur, justice, affaires étrangères, maire de Paris.
Un sergent-major vient de me dire que les généraux Lecomte et Clément Thomas avaient été fusillés après jugement d'une cour martiale. Il avait vu les cadavres.
Signé : VALENTIN.
18 mars 1871, 6 h. 55 m. du soir.
Maire de Paris à préfet de police, général Vinoy, général Le Flô, intérieur, président du Gouvernement.
On construit des barricades au pont Louis-Philippe, rue Bourtibourg; on va évidemment en faire dans toutes les petites rues intermédiaires ; le but est d'isoler l'Hôtel de ville.
J'attire votre attention sur l'importance de bien garder le nouvel Hôtel-Dieu et le pont d'Arcole; du pont d'Arcole, avec une mitrailleuse, on pourrait balayer la place si cela devenait nécessaire.
Vous le voyez, la situation est bien claire. Je vous dirai qu'un peu avant, prévoyant un siège, j'avais envoyé des voitures avec des employés à la manutention. Ils étaient revenus avec du pain et des liquides, et nous avions de quoi nourrir le 110e régiment pendant 48 heures au moins.
M. LE MARQUIS DE MORNAY.—A quelle heure aviez-vous envoyé ces voitures?
JULES FERRY. — Entre 4 et 5 heures.
M. LE MARQUIS DE MORNAY. — Vous n'étiez pas encore cernés ?
JULES FERRY. — Non, mais je prévoyais que je pourrais l'être, et la prudence me commandait de prendre des précautions.
Un membre. Je croyais qu'à ce moment-là l'Hôtel de ville était cerné.
M. JULES FERRY. — Non, jamais la place n'a été cernée. Les employés que j'avais envoyés à la manutention entre 4 et 5 heures en sont revenus vers 7 heures.
Me voici arrivé au dernier incident de la journée. Je tiens particulièrement à m'en expliquer, à raison de l'immense responsabilité qui pesait sur moi comme maire de Paris.
Je ne prétends nullement qu'on ait eu tort de faire évacuer l'Hôtel de ville et les casernes. Il s'agit là, en effet, d'un acte militaire qui engage uniquement la responsabilité du chef supérieur, et que je n'entends pas discuter.
Quant à moi, je tiens seulement à montrer que je n'ai quitté mon poste que lorsqu'il a été absolument impossible d'y rester.
Vous venez de voir que j'avais lutté dans la journée contre l'évacuation de la caserne Lobau.
Vous vous rappelez que le général Vinoy m'avait télégraphié, à 4 heures 20 m., qu'il n'avait pas donné l'ordre d'évacuation et qu'il était d'avis de fortifier les casernes au lieu de les évacuer; eh bien! — et ceci vous montre avec quelle rapidité les événements se précipitaient — à sept heures, j'apprends que le général Derroja, qui commandait en chef depuis le matin l'Hôtel de ville et les casernes, avait reçu du général Vinoy l'ordre écrit d'évacuer immédiatement les casernes. Je cours au général qui était dans un cabinet voisin du mien, et je lui dis : « Comment se fait-il que vous receviez des ordres sans que j'en sois avisé? » Il me répond : « Voici l'ordre; je ne sais pas plus que vous ce qui se passe. » Or, l'ordre était sur un papier assez sale et de mauvaise apparence, je pensai que c'était peut-être un faux ordre, et je demandai qu'il fût vérifié.
J'écrivis en conséquence au ministre de l'intérieur, au président du gouvernement, au général Vinoy, la dépêche que voici :
18 mars 1871, 7 h. 15 m, du soir.
Maire de Paris à intérieur, président du Gouvernement, général Vinoy.
Le général Derroja me communique un ordre daté de 6 heures, ordonnant l'évacuation de la caserne Napoléon et de l'Hôtel de ville et signé : Vinoy. — Cet ordre est contraire à une dépêche du général Vinoy toute récente qui se plaignait de l'ordre d'évacuation précédemment reçu. Je prie le ministre de l'Intérieur et le président du gouvernement de me confirmer cet ordre par dépêche.
L'Hôtel de ville n'aura plus un défenseur; entend-on le livrer aux insurgés, quand, pourvu d'hommes et de vivres, il peut résister indéfiniment? Avant d'évacuer, j'attends ordre télégraphique.
Signé : JULES FERRY.
Comme la réponse ne venait pas, je télégraphiai de nouveau au ministère de l'intérieur :
18 mars 1871, 7 h. 40 m. du soir.
Maire de Paris à intérieur.
Je réitère ma question au sujet de l'ordre d'évacuation. Allons-nous livrer les caisses et les archives? car l'Hôtel de ville, si l'ordre d'évacuer est maintenu, sera mis au pillage. J'exige un ordre positif pour commettre une telle désertion et un tel acte de folie,
A 7 heures 40 m., je reçus de M. Picard, ministre de l'intérieur, la réponse suivante :
Intérieur à maire de Paris.
Suspendez l'évacuation. Je vais vérifier l'ordre et le discuter avec le général.
Signé : ERNEST PICARD.
Vous voyez que le ministre de l'intérieur ne connaissait pas plus que moi l'ordre d'évacuation, puisqu'il se rendait à l'état-major pour le discuter avec le général Vinoy.
J'eus quelque peine à obtenir du général Derroja un sursis à l'exécution de cet ordre qui était extrêmement pressant et qui le préoccupait beaucoup. Il sentait sa responsabilité compromise et il ne voulait pas attendre la réponse. Je lui dis : « Si vous n'attendez pas la réponse, je reste ici. Il y a là le 101e bataillon qui n'attend que votre départ pour entrer, et je vous rends responsable des conséquences. »
Il consentit à me laisser télégraphier et à attendre la réponse, c'est-à-dire la dernière dépêche que je viens de vous lire. Le général Derroja n'en fut pas satisfait. Il voulait une dépêche directe du ministre de l'intérieur.
Je télégraphiai alors au ministre de l'intérieur :
18 mars 1871, 8 h. du soir.
Maire à intérieur.
Malgré la communication précédente au général qui commande ici, ce dernier veut évacuer immédiatement.
Prière de lui envoyer un ordre formel d'attendre la réponse du général Vinoy.
L'ordre formel arriva à 8 h. 12 minutes.
18 mars 1871, 8 h. 12 m. du soir.
Intérieur à maire de Paris et général commandant la caserne Lobau.
Sous votre responsabilité personnelle, ordre formel de ne pas évacuer ; attendre communication du général Vinoy qui est prévenu.
Signé : ERNEST PICARD.
Pour mieux assurer la vérification de l'ordre, j'avais, d'accord avec le général Derroja, envoyé un de ses officiers au quartier général du Louvre.
Le général Vinoy était absent. L'officier ne rencontra que son chef d'état-major, M. Filippi, qui, instruit de la situation, répondit par un petit mot au crayon : « Il me paraît convenable de se conformer aux ordres de M. le ministre de l'intérieur, c'est-à-dire de suspendre l'évacuation. » J'étais encore une fois triomphant, puisque j'étais résolu à rester à l'Hôtel de ville.
M. Derroja ne se tint pas pour battu et envoya un second officier au général Vinoy, à l'École militaire, pour avoir des éclaircissements.
Pendant ce temps, je télégraphiais au ministre de l'intérieur, à 8 h. 25 du soir, la dépêche suivante :
18 mars 1871.
Maire de Paris à ministre de l'intérieur.
Avec cinq cents hommes, je suis certain de tenir indéfiniment dans l'Hôtel de ville. L'évacuation de la préfecture de police est insensée. Les barricades qui se font tout autour d'ici ne sont pas sérieuses.
Nous avions pu, en effet, faire constater par nos gens que c'étaient des barricades tout à fait improvisées.
Sur ces entrefaites revint l'officier qui s'était rendu auprès du général Vinoy. Il rapportait l'ordre écrit et formel de tout évacuer.
Je tentai un dernier effort et j'écrivis au ministre
de l'intérieur :
18 mars 1871, 9 h. 30 m. du soir.
Maire de Paris à intérieur.
Je reçois l'ordre du général Vinoy d'évacuer l'Hôtel de ville. Pouvez-vous m'envoyer des forces. Répondez immédiatement.
Vingt minutes après il me répond :
18 mars 1871, 9 h. 50 m. du soir.
Intérieur à maire de Paris.
Votre dépêche a été transmise au Gouvernement avec invitation de vous répondre directement et immédiatement; ne puis prendre sur moi de donner ordre de désobéir à Vinoy.
Mais comme aucune nouvelle n'arrivait, le général Derroja me dit : " C'est tout ce que je puis faire. J'ai épuisé les dernières limites de mon droit. Je vais faire évacuer l'Hôtel de ville.»
A 9 h. 55 m., je télégraphiai une dernière dépêche au ministre de l'intérieur :
18 mars 1871, 9 h. 55 m. du soir.
Maire de Paris à intérieur.
Les troupes ont évacué l'Hôtel de ville. Tous les gens de service sont partis. Je sors le dernier. Les insurgés ont fait une barricade derrière l'Hôtel de ville, et arrivent en même temps sur la place en tirant des coups de feu.
Signé : JULES FERRY.
C'est ainsi que l'Hôtel de ville se trouva occupé par l'insurrection une demi-heure après. Les insurgés eux-mêmes ignoraient ce qui se passait dans l'intérieur de l'édifice. Ils furent assez surpris, m'a-t-on dit, de trouver les portes ouvertes.
(/même impression pour Duval en arrivant à la Préfecture de police.)